Traductions pour : 鄭三峯道傳文集序

Préface aux œuvres de Sambong, Chòng Dojòn

Texte original

Traduction

文在天地間。與斯道相消長。道行於上。文著於禮樂政敎之間。道明於下。文寓於簡編筆削之內。故典謨誓命之文。删定贊修之書。其載道一也。

La civilisation réside entre le Ciel et la Terre. Elle diminue et s’accroît donc de la même manière que la Voie.

Dans le meilleur des cas, la Voie est mise en pratique. La civilisation se trouve alors transcrite dans les rites et la musique, dans la gouvernance et l’enseignement.

Dans tous les autres cas, la Voie est simplement éclairée. La civilisation se réfugie alors dans les tablettes de bambou entrelacées et les coups de pinceau successifs.

C’est pourquoi, qu’il s’agisse d’œuvres maîtresses telles que les lois et les décrets du temps des premiers souverains ou qu’il s’agisse d’ouvrages tels que les exégèses et les monographies, tous ces écrits-là se rejoignent en ce qu’ils véhiculent la Voie[1].

 

 

[1] D’une part, j’ai traduit ici 典謨誓命par « les lois et les décrets du temps des premiers souverains » car il s’agit certainement d’une référence aux Règles (Règle de Yao堯典 et Règle de Shun 舜典 ; traduction de Séraphin Couvreur) et aux Conseils (Conseils du Grand Yu 大禹謨et Conseils de Gao Yao 皋陶謨; également traduction de Séraphin Couvreur) du Livre des Documents (書經) ainsi qu’aux mandats et décrets du temps de ces premiers souverains mythiques (Empereur Yao : 2357-2258 A.C ; Empereur Shun : 2257-2208 A.C ; Yü le Grand de la dynastie des Xia : 2207-1766 A.C ; Gao Yao, l’un des ministres de l’empereur Shun). En outre, je pense que ces quatre caractères désignent par métonymie tous les écrits dits « porteurs de civilisation »/文 par opposition aux écrits dits « communs »/書 qui sont énumérés dans la proposition suivante. D’autre part, j’ai traduit 删定贊修par « les exégèses et les monographies » car les quatre verbes définissants ces écrits 書 désignent probablement la littérature exégétique et apologétique sur les Classiques. Pour garder l’opposition文 /書, il m’a semblé que « œuvres maîtresses » et « ouvrages » étaient des choix possibles en français. Nous remarquerons au passage que le parallélisme n’est pas ici parfait car autant les quatre caractères définissant les écrits文 désignent chacun un genre littéraire particulier, les quatre autres qui définissent les écrits 書 sont des verbes, à l’exception peut-être de 贊.

 

 

 
 

Texte original

Traduction

周衰道隱。百家並起。各以其術鳴而文始病。漢之司馬遷,楊雄之徒。其言猶未醇雅。及佛氏入中國。斯文益病。魏晉以降。蓁塞無聞。至唐韓子。崇仁義闢異端。以起八代之衰。宋興程朱之書出。然後道學復明。人知吾道之大。異端之非。開示後學。昭晢萬世。吁盛矣哉。

Avec le déclin des Zhou, la Voie a été occultée. Les cent écoles[1] se sont alors levées comme un seul homme, chacune y allant de ses jacasseries sur ses techniques de sagesse. Dès lors, la civilisation a commencé à être malade. Sous les Han, même de vrais continuateurs comme Sima Qian[2] et Yang Xiong[3] n’ont pas tout à fait atteint la pureté et le raffinement dans leurs propos. Puis, le bouddhisme a pénétré en Chine et la maladie de notre culture confucéenne[4] a empiré. Avec la décadence des époques des Wei et des Jin[5], la civilisation a été étouffée et obstruée et elle ne s’est plus fait entendre. Et ce jusqu’à maître Han des Tang[6]. Ce dernier a honoré comme il se devait le sentiment d’humanité et le sens du juste et il a réfuté les courants hétérodoxes. A partir du moment où les huit dynasties ont décliné, la dynastie des Song a prospéré et les ouvrages des frères Cheng[7] et de Zhu Xi[8] ont fait leur apparition. C’est après cela que l’étude de la Voie s’est mise à nouveau à rayonner. Les hommes ont pris conscience de la grandeur de notre Voie confucéenne et de l’erreur des courants hétérodoxes. Offrir matière à étude à la postérité, éclairer par là les dix mille générations à venir : voilà le suprême accomplissement!

 

[1] Il s’agit ici des « cent écoles de pensée » de l’époque des Royaumes Combattants en Chine (403-222 A.C).

[2] Auteur des Mémoires historiques, 史記 (145 ?-86 ?).

[3] Confucéen des Han (53-18 A.C), surtout connu pour ses prosodies, fu 賦. Cette mention de Yang Xiong ici est particulièrement intéressante car il a été écarté du Daotong/道通 (la Transmission du Dao), comme la majorité des penseurs Han, par les confucéens des Tang et des Song. On notera que Kwòn Kùn cite également un passage du Fayan, les Propos modèles (法言) de Yang Xiong dans la préface qu’il rédige plus tard pour le Bulsi chapbyònsòl, 佛氏雜辨說de Chòng Dojòn. Serait-ce une spécificité coréenne de la vision du Daotong ? Est-ce une spécificité de Kwòn Kùn ? Toutefois, si les premiers confucéens de la dynastie Chosòn semblent avoir lu et estimé Yang Xiong, il me semble que nous ne trouvons plus de référence chez des confucéens ultérieurs tels que Yi Hwang ou Yi I. (A approfondir !)

[4] Je me suis permise de légèrement « sur-traduire » cette expression de斯文 par « notre culture confucéenne » pour en souligner la charge significative. Il s’agit en effet d’une expression tirée des Entretiens de Confucius (Lunyu 9.5 : « Menacé de mort à Kuang, le Maître déclara : Après la mort du roi Wen, sa culture ne devait-elle pas vivre encore ici, en moi ? Si le Ciel avait voulu enterrer cette culture, plus personne n’aurait pu se réclamer d’elle comme je le fais. Or, si telle n’est pas l’intention du Ciel, qu’ai-je à craindre des gens de Kuang ? » traduction Anne Cheng, 1981, p.75; 子畏於匡曰:文王既沒,文不在兹乎?天之將喪斯文也,後死者不德與於斯文也;天之未喪斯文也,匡仁其如予何?) et que se sont appropriée les confucéens chinois lors de la transition Tang/Song pour commencer à élaborer l’idée de Daotong (cf. BOL, Peter K., This Culture of Ours. Intellectual Transitions in T’ang and Sung China, Stanford U.P, Stanford, 1992). Je pense que son emploi par Kwŏn Kŭn ici n’est en rien anodin ; une simple traduction littérale par « la civilisation » serait donc insuffisante.

[5] Dynastie des Wei : 220-265. Dynastie des Jin : circa 265-420. Il s’agit de dynasties dites barbares et donc considérées comme décadentes, notamment à cause de leur forte adhésion au bouddhisme.

[6] Il s’agit de Han Yu (768-824). C’est le seul penseur des Tang reconnu par les néo-confucéens dans le Daotong ; il est surtout connu pour ses virulents écrits contre le bouddhisme.

[7] Il s’agit de Cheng Yi 程頣(Cheng Yichuan 程伊川, 1033-1107) et Cheng Hao 程顥 (Cheng Mingdao 程明道, 1032-1085). Hommes d’Etat et grands penseurs des Song, neveux d’un autre penseur confucéen, Zhang Zai (張載  ; 1020-1078), ils sont les véritables pionniers du néo-confucianisme et Zhu Xi s’est très largement inspiré de leurs thèses, en particulier de celle de Cheng Yi, le plus brillant des deux frères en matière de spéculation philosophique.

[8] Zhu Xi 朱熹(1130-1200), grand penseur des Song, traditionnellement considéré comme celui qui a systématisé la doctrine néo-confucianiste. Il est surtout connu en Corée pour sa compilation des Quatre Livres, 四書 et ses Rites familiaux, 家禮 .

 
 

Texte original

Traduction

吾東方雖在海外。爰自箕子八條之敎。俗尙廉恥。文物之懿。人材之作。侔擬中夏。自是以來。世崇文理。設科取士。一遵華制。熏陶化成。垂數百年。卿士大夫。彬彬文學之徒。

Quant à nous qui sommes à l’Est, bien que nous soyons outremer, nous nous sommes tempérés à partir du moment où Kija[1] nous a enseigné les huit lois[2]. Nos usages et nos coutumes ont alors connus la modération et la pudeur. En matière de beauté des arts et des lettres et d’utilisation des hommes de talents, nous avons imité à l’identique la Chine. A partir de ce moment-là, de génération en génération, nous avons pris pour valeur suprême une gouvernance fondée sur la civilisation. Nous avons instauré des concours mandarinaux et sélectionné des lettrés. En toutes choses, nous avons été guidés par les principes institués en Chine. Par le biais d’une imprégnation progressive, notre transformation a été accomplie durant plusieurs centaines d’années. Nos princes, nos lettrés et nos hauts fonctionnaires sont les continuateurs de la forme la plus raffinée de la civilisation[3].

 

 

[1] D’après la tradition, ce serait le fondateur de Kija Chosòn de l’Antiquité. La légende dit qu’il s’agit d’un sage (賢人) du pays de Yin, qui à la suite de la conquête du royaume de Yin par le roi Wu (武王) du pays de Zhou (le fondateur de la dynastie des Zhou), a fui en 1122 vers la péninsule coréenne pour y fonder son propre Etat. L’empereur Wu des Han aurait par ailleurs reconnu officiellement le statut de Kija comme l’un des fondateurs des Etats coréens. Les recherches actuelles tendent cependant à prouver qu’il s’agit bien d’un mythe de fondation fortement influencé par une volonté de sinisation de la part des Coréens. Nous noterons à ce propos que cette légende de Kija a été particulièrement développée à la fin de la dynastie Koryò.

[2] Les « huit lois » seraient une sorte de code primitif des châtiments que Kija aurait imposé dans son royaume. Nous ne connaissons que trois de ces lois. La première consiste à mettre à mort les assassins. La seconde consiste à faire payer une amende en grains à ceux qui injurient ou portent tort à une autre personne. La troisième consiste à réduire en esclavage les voleurs.

[3] L’expression 彬彬文學est une référence au célèbre passage des Entretiens de Confucius (6.18) : « Le Maître dit : Nature qui l’emporte sur culture est fruste, culture qui l’emporte sur nature est pédante. Seule leur combinaison harmonieuse donne l’homme de bien», traduction Anne Cheng, p.58; 子曰:質勝文則野,文勝質則史。文彬彬,然後君子。Nous pourrions éventuellement traduire par « les continuateurs de la civilisation des hommes de bien ».

 

 

 
 

Texte original

Traduction

吾家文正公始以朱子四書。立白刊行。勸進後學。其甥益齋李文忠公師事親炙。以倡義理之學。爲世儒宗。稼亭,樵隱諸公從而興起。澹庵白公闢異端尤力焉。吾座主牧隱先生早承家訓。得齒辟廱。以極正大精微之學。旣還。儒士皆宗之。若圃隱鄭公,陶隱李公,三峯鄭公,潘陽朴公,茂松尹公。皆其升堂者也。

Dans mon clan, c’est Mujònggong[1] qui a été le premier à proposer[2] de faire éditer les Quatre Livres de maître Zhu. Lorsqu’il incita les jeunes lettrés à passer les concours, son gendre Ik’jae, Yi Munch’unggong[3] en fit son maître et il reçut son enseignement. En se faisant le chantre de l’étude du Juste et du Principe, ce dernier devint aux yeux du monde un confucéen modèle. Des disciples honorables tels que Kajòng[4] ou Ch’o ùn[5] sont apparus dans son sillage et Dam’am, Paekgong[6], a fait tout son possible pour contrer les doctrines hétérodoxes. Notre examinateur au concours, le seigneur Mok’ùn[7], a très tôt prodigué son enseignement chez lui puis avec l’âge, il a obtenu un poste au Collège des Lettrés[8] pour y approfondir un enseignement droit et subtil. Au bout d’un certain temps, que ce soit des confucéens ou des lettrés, tous l’ont vénéré. Par la suite, Po’ùn, Chònggong[9], Do’ ùn, Yi gong[10], Sambong, Chònggong[11], Panyang, Pakgong[12], Musong, Yungong[13] ont tous occupé des postes au Collège des lettrés.

[1] Il s’agit du grand père paternel de Kwòn Kùn, Kwòn Po權溥 (1262-1346). Homme de lettres et fonctionnaire, originaire de la région d’Andong et disciple d’An Hyang qui aurait introduit le confucianisme Cheng-Zhu en Corée. Il s’est par ailleurs rendu par deux fois en ambassade à la cour des Yuan et c’est à la suite de sa demande au roi de faire éditer les Quatre Livres que le néo-confucianisme a commencé à se développer sous la dynastie Koryò. Il est l’auteur d’un recueil en vingt kwon intitulé « ùndaejip » 銀臺集, qui est aujourd’hui perdu.

[2] L’expression 立白est mise ici pour 建白. Cette dernière a été remplacée pour cause de caractère taboué sur le nom du roi Taejo (1392-1398).

[3] Il s’agit d’Yi Chehyòn李齊賢 (1287-1367), Ik’jae est son ho. Il est reçu premier au concours d’entrée au Collège des lettrés en 1301. Après de multiples fonctions administratives, il se met à étudier le néo-confucianisme en 1314 auprès de Paek Yijòng (白頣正 (? - ?), en 1298, il suit le futur roi Ch’ungsòn (忠宣 ; 1309-1313) à Yanjing où il reste pendant dix ans pour étudier le confucianisme. A son retour en Corée, il forme notamment Yi Chehyòn. C’est l’un des grands promoteurs du néo-confucianisme en Corée). Cette même année 1314, il est appelé au Mankwondang (萬卷堂) institué par le roi Ch’ungsòn (忠肅; 1314-1330) en Chine et il se rend à Yanjing où il étudie avec des lettrés chinois. Il se rend à plusieurs reprises en Chine et il a même permis en 1323 et en 1339 la libération du roi Ch’ungsòn pris en otage par les Mongols. Il est connu pour ses talents de diplomate avec les Mongols, sa contribution au développement du néo-confucianisme sous Koryò mais aussi pour ses travaux sur la musique de son époque.

[4] Il s’agit de Yi Kok李榖 (1298-1351), père de Yi Saek (李穡) et disciple de Yi Chehyòn. Il est reçu en 1333 au concours mandarinal organisé en Chine des Yuan. Il a permis d’obtenir de l’empereur des Yuan de suspendre l’envoi de jeunes filles coréennes à la cour mongole. On dit également qu’au cours de ses multiples séjours en Chine, il a si bien appris à maîtriser la langue chinoise qu’il n’était pas perçu comme un étranger.

[5] Il s’agit de Yi Inbok李仁復(1308-1374), homme de lettres de la dynastie Koryò. Disciple de Paek Yijòng, qui lui enseigne le néo-confucianisme de Zhu Xi. Licencié à 19 ans, il passe également des concours en Chine en 1342. Il a occupé plusieurs postes en Corée tout en se rendant régulièrement en Chine et il a fréquenté Yi Saek (李穡).

[6] Il s’agit de Paek Munbo 白文寶 ( ?-1374), homme de lettres de la dynastie Koryò. Licencié sous le règne du roi Ch’ungsuk (忠穆 ; 1345-1348), il occupe divers postes administratifs. Il est connu pour avoir dénoncé auprès du roi Kongmin (恭愍; 1352-1374) les conséquences néfastes de l’adhésion au bouddhisme, en prenant notamment pour exemple la fin de Silla unifié. En 1373, il devient précepteur du futur roi U (禑王; 1375-1388). Il est resté célèbre pour son talent littéraire.

[7] Il s’agit de Yi Saek李穡(1328-1396), homme de lettres et penseur ; l’un des samùn 三隱 de la dynastie Koryò . Disciple de Yi Chehyòn, licencié en 1341, il se rend en 1348 en Chine où il étudie le néo-confucianisme en tant qu’élève du Kukjagam (國子監). En 1351, en raison du décès de son père, il rentre en Corée et occupe différents postes dans l’administration, notamment au ministère de la défense et à celui de l’éducation. En 1354, il est reçu premier au concours huishi/hoesi 會試 et second au concours dianshi/chònsi 殿試en Chine puis il occupe certains postes dans l’administration chinoise, il fait notamment partie du Collège impérial. Après son retour en Corée en 1356, il occupe plusieurs postes et il impose officiellement le deuil confucéen de trois ans. En 1367, il réorganise le programme d’éducation du Collège des lettrés et il y place comme professeurs Kim Kuyong (金九容), Chòng Mongju (鄭夢周) et Yi Sung’in (李崇仁). Il est connu pour avoir fortement contribué au développement du néo-confucianisme en Corée. Par ailleurs, il est resté fidèle à la cause de la dynastie Koryò ; il s’est rendu plusieurs fois à la cour des Ming afin d’obtenir de l’aide pour contrer Yi Sònggye. Lors de la prise du pouvoir de ce dernier, il fut exilé puis emprisonné dans divers lieux. Il mourut lors d’un transfert. Parmi ses disciples, on peut citer Kwòn Kùn, Kim Chongjik (金宗直) et Pyòn Kyeriang (卡季良).

[8] L’expression Pyòk Ong (辟廱) désigne le Collège des Lettrés, Sòng’gyungwan 成均館/Taehak 太學 (traduction de Maurice Courant).

[9] Il s’agit de Chòng Mongju鄭夢周 (1337-1392), homme de lettres et penseur, l’un des samùn 三隱 de la dynastie Koryò. En 1360, il est reçu premier au concours munkwa 文科 et occupe divers postes dans l’administration. Il devient notamment docteur du Collège des lettrés et se rend en ambassade à la cour des Ming. En 1376, il s’oppose à la position de Yi Inim (李仁任), tenant de la fidélité aux Yuan et du rejet des Ming (排明親元), ce qui lui vaut l’exil. Gracié, il se rend en ambassade au Japon, où il obtient la libération des Coréens faits prisonniers par des pirates japonais. Il se rend à de nombreuses reprises en Chine et œuvre pour le rapprochement avec la cour des Ming. En participant au complot contre Yi Sònggye en 1392, il est assassiné. Il a instauré des greniers communs pour les paysans et a contribué à développer le néo-confucianisme, en particulier pour contrer l’influence des bouddhistes. Se réclamant des principes énoncés dans les Rites familiaux, 家禮 de Zhu Xi, il a crée de nombreuses écoles tant à la ville qu’à la campagne. Par ailleurs, il a rédigé le Daemyòngyul (大明律) et le Sinyul (新律) et a ainsi contribué à une réforme des lois. Doué tant pour la poésie que pour la peinture, c’était un lettré accompli.

[10] Il s’agit de Yi Sung’in李崇仁 (1349-1392), l’un des samùn 三隱 de la dynastie Koryò. Doué pour les concours, il fut licencié très jeune et lors de la sélection pour un candidat coréen à présenter au concours organisé par la Chine des Yuan, il n’a été écarté qu’en raison de son trop jeune âge (25 ans). A la suite de la réforme du Collège des lettrés par le roi Kongmin (恭愍王; 1352-1374), il fut nommé professeur à l’instar de Chông Mongju et de Kim Kuyong. Sous le roi U (禑王; 1375-1388), il demanda avec Kim Kuyong et Chòng Dojòn de renvoyer les émissaires de la cour des Yuan du Nord et il fut envoyé un temps en exil. Il sera à de nombreuses reprises exilé ou emprisonné, notamment en 1390 en compagnie de Yi Saek et de Kwòn Kùn. En 1392, à la suite de l’assassinat de Chòng Mongju, il est à nouveau banni avec ses partisans. A la fondation de la dynastie Chosòn, il est assassiné sur ordre officieux de Chòng Dojòn (鄭道傳). Il est connu pour sa connaissance du néo-confucianisme, pour ses talents poétiques et surtout pour ses écrits diplomatiques avec la cour des Yuan et des Ming.

[11] Il s’agit de Chòng Dojòn (鄭道傳).

[12] Il s’agit de Pak Sangch’ung朴尚衷 (1332-1375), lettré de la dynastie Koryò. Licencié, il contribue à réformer les rites sacrificiels au sein du Ministère des Rites puis, grand défenseur du néo-confucianisme, il prône le rapprochement avec les Ming au début du règne du roi U (禑王; 1375-1388). Lorsque des émissaires des Yuan du Nord se présentèrent à la cour, il demanda au roi, avec les défenseurs du rapprochement avec les Ming, de ne pas les recevoir. Il fut alors bastonné et mourut lors de son supplice.

[13] Il s’agit de Yun Sojong尹紹宗 (1345-1393), homme de lettres, disciple de Yi Saek. En 1365, il est reçu premier au concours de licence. Après avoir occupé divers postes, il est démis de ses fonctions à la suite d’un mémoire qu’il rédigea sur divers problèmes contemporains. A partir de 1381 et du décès de sa mère, il se retire à la campagne et instruit de nombreux lettrés, puis il est nommé à un poste au Collège des lettrés. Il occupe successivement des postes importants. Jaloux du talent de Yi Sungin (李崇仁), il tente de le faire assassiner puis il s’oppose formellement à ce que le roi prenne pour précepteur du prince héritier le moine Ch’anyòng (粲英). Il finit par encourir la disgrâce du roi qui le trouve de nature envieuse et mauvaise et il est envoyé en exil. Il obtient une grâce royale et revient à la cour mais il s’oppose au clan formé autour de Chòng Mongju et il est à nouveau envoyé en exil. Après l’assassinat de Chòng Mongju en 1392, il est rappelé. A la fondation de Chosòn, il participe à la rédaction du Koryòsa (高麗史) et obtient plusieurs postes importants.

 
 

Texte original

Traduction

三峯與圃隱,陶隱尤相親善。講論切磋。益有所得。常以訓後進闢異端爲己任。其講詩書。能以近言形容至理。學者一聞卽曉其義。其闢異端。能通其書。先說其詳。乃斥其非。聽者皆服。

Sambong a entretenu les rapports les plus amicaux avec Po’ùn et Do’ùn ; ils se sont entretenus de théorie en étudiant tous ensemble, ce qui a contribué à enrichir ses connaissances. Il s’est toujours attribué pour tâche d’enseigner aux nouveaux bacheliers et de contrer les doctrines hétérodoxes. Lors de ses leçons sur le Livre des Odes, il était capable de figurer par le langage courant les idées les plus complexes de telle sorte que lorsqu’un étudiant entendait un poème, il était immédiatement éclairé sur son sens. Et dans son combat contre les doctrines hétérodoxes, il était capable de saisir parfaitement le sens de leurs écrits. Il commençait d’abord par expliquer les points les plus précis de ces doctrines puis il en dénonçait les erreurs ; ainsi son auditoire se rangeait à son avis.

 

 

 
 

Texte original

Traduction

是以。執經從遊者。塡隘門巷。嘗從學而登顯仕者。比肩而立。雖武夫俗士。聞其講說。亹亹不厭。浮屠之徒亦有從而化者焉。至於禮樂制度陰陽兵曆。靡不精曉。祖八陣而成三十六變之譜。約木一而作七十二局之圖。能簡而盡。世之名將術士皆善之。然此皆先生之餘事也。先生節義甚高。學術最精。嘗以直言忤宰相。流南方者十年。而其志不變。功利之徒。異端之輩。群欺衆詆。而其守益堅。先生可謂信道篤而不惑者也。

C’est pourquoi, ceux qui s’étaient fermement décidé à étudier les Classiques bloquaient le passage de l’entrée principale de sa demeure tant ils étaient nombreux[1] et quant à ceux qui avaient été ses disciples et qui étaient parvenus à exercer une charge publique, ils se sont établis dans la société épaule contre épaule. Dès qu’ils entendaient ses leçons, même des hommes d’armes ou des lettrés médiocres[2] se montraient diligents à l’étude sans jamais rechigner. Et il y eut même le cas de certains disciples du Bouddha qui se sont mis à le suivre et qui se sont réformés[3]. Que ce soit sur les rites et la musique, sur l’organisation politique, sur le yin et le yang ou sur le calendrier militaire (affaires militaires),  il n’y avait aucun point qu’il ne savait pas dans les moindres détails. Prenant pour modèle les huit armées, il réalisa une liste de trente-six points à changer. Il préconisa de restreindre la première de ces huit armées et il fit un organigramme en 72 bureaux. Sa capacité à synthétiser tout en épuisant tous les tenants et aboutissants d’un problème était unanimement appréciée tant par les généraux célèbres que par les devins de son temps[4]. Mais il ne s’agit là que des activités secondaires du seigneur Sambong. En effet, le seigneur Sambong est une éminence en matière de raisonnement et il est l’homme le plus subtil en matière de méthodes pédagogiques. Il s’est autrefois frontalement opposé aux grands ministres et il a été envoyé en exil dans le Sud pendant dix ans mais sa détermination, elle, n’a pas changé. Bien que les tenants du principe de l’enrichissement personnel à travers la fonction publique et la ribambelle des sectateurs des doctrines hétérodoxes se soient attroupés en masse pour escroquer les gens et calomnier notre doctrine, l’intégrité à toute épreuve du seigneur Sambong est encore plus solide qu’auparavant. On peut dire à son propos que c’est un homme qui dans sa fidélité à la Voie se montre ferme sans jamais éprouver de doutes.

 

[1] Je me suis permise d’ajouter cette précision car on pourrait croire que les étudiants bloquaient volontairement l’accès à sa demeure…

[2] Nous retrouvons ici la condescendance que les lettrés qui sont 文, ont traditionnellement entretenu à l’égard des militaires, 武. De plus, l’expression 俗士est également méprisante. En effet, il s’agit certainement d’une référence à l’expression très connue que Xunzi 荀子 a le premier utilisé pour dénigrer les lettrés médiocres, suru 俗儒.

[3] Je traduis 化 par « réformer » car je pense que cela reste dans le ton de l’auteur et parce que, contrairement à 變, le terme de化porte en lui l’idée d’une amélioration, comme dans 文化 par exemple. Je pense qu’il y a un jugement de valeur dans le recours de Kwòn Kùn à ce terme précis.

[4] Il s’agit d’une référence aux deux ouvrages suivants de Chòng Dojòn, aujourd’hui perdus : le 八陣三十六變圖譜et le 太乙七十二局圖. Nous ne savons pas leurs dates de rédaction respectives mais ils ont sans doute été écrits avant 1385, date probable de la rédaction de cette préface de Kwòn Kùn. Le premier ouvrage traitait sans doute de questions militaires et le second de divination. Les « huit armées », 八陣 était à l’origine un ouvrage militaire rédigé par 諸葛亮 qu’a développé Chòng Dojòn. Quant au terme de 太乙, il correspond à un nom d’astre (太乙星 ou parfois 太一) que les devins, en particulier d’obédience taoïste, observaient pour pratiquer la divination. Cf. 韓永愚, 鄭道傳思想의 研究, 서울 대학교 출판부, rééd. 1997 (première édition 1973), p.34-35.

 

 

 
 

Texte original

Traduction

先生著述。有學者指南圖若干篇。義理之精。瞭然在目。能盡前賢所未發。雜題若干卷。本於身心性命之德。明於父子君臣之倫。大而天地日月。微而鳥獸草木。理無不到。言無不精。

Parmi les œuvres du seigneur Sambong, il y a un certain nombre de feuillets regroupés sous le titre de « Hakja chinamdo »[1]. Les subtilités du sens du Juste et du Principe nous y apparaissent  clairement sous les yeux. Il a réussi à entrer dans les détails que les anciens sages n’avaient pas encore mis en évidence. Il y a également quelques pièces regroupées sous le titre de «Questions diverses»[2]. Ces écrits puisent leur racine dans l’idée de puissance du corps et du cœur-esprit ainsi que dans celle du fonds commun aux hommes et du décret céleste ; ils éclairent sur les règles de comportement à tenir entre père et fils ainsi qu’entre souverain et ministre. Les sujets qui y sont largement traités sont le Ciel et la Terre, le Soleil et la Lune et les sujets un peu moins traités sont les volatiles et les quadrupèdes, les plantes et les arbres. En tout cela, il n’y a rien que son esprit n’ait pas saisi et il n’y a rien que son discours n’est pas examiné en détail[3].

 

[1] On ne connaît pas la date exacte de la rédaction de cet ouvrage. Puisque cette préface de Kwòn Kùn semble datable de 1385, le Hakja chinamdo a certainement dû être écrit avant cette date. D’après Han Yong’u (cf. op.cit., p.34), il est fort probable qu’il ait été rédigé entre 1377 et 1383, après que l’exil de Chòng Dojòn eut pris fin. A cette époque, Chòng Dojòn faisait des allées et venues entre la capitale et la campagne et il est probable qu’il ait rédigé le Hakja chinamdo pour ses disciples. Cet ouvrage est aujourd’hui perdu et nous ne savons pas son contenu exact mais d’après ce que nous en dit ici Kwòn Kùn, il s’agit probablement d’explication par schémas des principes néo-confucéens. D’après certains chercheurs coréens, le Hakja chinamdo aurait fortement influencé le Iphak dosòl 入學圖說rédigé en 1390 par Kwòn Kùn (cf. Han Yong’u, op.cit., p.34, note 54).

[2] Il est probable qu’il s’agisse ici d’une référence au 錦南雜題, rédigé lors de son exil par Chòng Dojòn. Cet écrit en prose forme un ensemble avec son pendant en vers, le 錦南雜詠où l’auteur exprime sa douleur d’être en exil ainsi que ses désirs de réforme de la condition des paysans, parmi lesquels il vivait alors en bonne entente.

[3] Il s’agit là d’une formulation qui tend à montrer que Chòng Dojòn est un véritable homme de bien, 君子. En effet, avoir un raisonnement correct tout en sachant manier le langage est traditionnellement considéré comme gage de 仁.

 

 
 

Texte original

Traduction

王國辭命之文。典雅得體。古律之作。襲魏晉追盛唐。而理趣出乎雅頌。質而理。溫而淡。誠無愧乎古人。樂部小序。删繁亂削淫僻。唯感發性情之正是錄。

Dans ses écrits diplomatiques pour le royaume, il fait montre d’une maîtrise certaine du raffinement rhétorique et il parvient à un haut niveau de style. Dans ses œuvres poétiques en style ancien, il se pare des traits de la poésie des Wei et des Jin[1] et il poursuit l’idéal que représente la poésie des Tang.  Mais comme le vrai bon goût ressort de poèmes tels que les ya et les song[2], il a su allier dans ses compositions poétiques consistance et armature, sentiments et finesse. Il n’a vraiment pas à rougir par rapport aux Anciens. Dans les préfaces qu’il a rédigées pour le bureau de la musique, il a retranché les passages trop abondants et désordonnés et il a supprimé les passages lascifs et vils. Il n’a transcrit que les morceaux qui ont été inspirés par des sentiments maîtrisés[3].

 

[1] Il s’agit d’une référence à la période dite des Six Dynasties (222-589) en Chine, qui est connue pour être une époque de grande création poétique.

[2] Les ya et les song sont des types de poèmes catalogués dans le Livre des Odes.

[3] Il s’agit bien sûr ici d’une allusion à la conception confucéenne de la musique et de la poésie. Nous pensons en particulier à Confucius, qui dans les Entretiens s’insurge à plusieurs reprises contre la musique lascive de Jin et de Zheng mais aussi à la conception systématisée à partir des Han ; cf. le Hanshu 漢書(la Monographie sur les rites et la musique 禮樂志et la Monographie sur les arts et la littérature 藝文志) et la Grande Préface de Mao au Livre des Odes, 毛詩序.

 

 
 

Texte original

Traduction

嗚呼。先生之文皆有補於名敎。非空言比也。是其與道並流後世而不朽無疑矣。雖生下國。不得施其文於皇朝盛世之典。嘗奉使朝于京師。浮遼海過齊魯。詩文之作。皆爲中國文士所嘉賞。是能以文鳴於一方。頌揚東漸之化。俾東人歌於萬世。與聖代治道之盛。同垂罔極亦無疑也。

Ah ! Oh ! Chacun des écrits du seigneur Sambong a quelque chose à apporter au glorieux enseignement. Ce n’est certainement pas là quelque chose auquel des discours inconsistants[1] peuvent se mesurer. Il n’est pas à douter que, de même que la Voie, ils vont se transmettre aux futures générations sans détérioration[2]. Le seigneur Sambong est certes né dans notre pays, secondaire et il n’a pas pu par conséquent faire parvenir ses oeuvres aux archives de la florissante dynastie chinoise, mais lorsqu’il reçut pour mission de se rendre en ambassade à la capitale impériale, qu’il prit un bateau sur le fleuve Liao et qu’il traversa les provinces de Qi et de Lu, il composa durant sa traversée des poèmes qui furent tous grandement loués par les littérateurs chinois. Cela montre qu’il fut capable par son talent littéraire d’émouvoir un pays tout entier et de faire l’éloge de notre transformation progressive. Ainsi, il n’est pas non plus à douter que, nous, gens de l’Est, nous chanterons ses louanges durant des centaines de générations. Il sera à jamais intimement associé à la prospérité qu’engendrera une mise en pratique effective de la Voie en des temps dignes de Saints.

 

[1] Cette expression 空言 peut signifier « discours inconsistants, vides » mais aussi « discours sur le vide » ; donc elle désigne sans doute les doctrines dites hétérodoxes, le taoïsme et surtout le bouddhisme, qui traite de Vacuité (空).

[2] L’expression 不秀, littéralement « ne pas pourrir », est fréquemment utilisée par les auteurs chinois, en particulier en critique littéraire. La métaphore végétale appliquée à la littérature est très intéressante car elle permet d’établir une continuité « génétique » entre les Classiques et la littérature (cf. Lu Ji (陸机, 陸士衡 ; 261-302) et son Wenfu 文賦 (281), Cao Pi (曹丕 ; 187-226) et son Lunwen 論文et surtout  Liu Xie (劉勰 ; circa 465-520) et son Wenxindiaolong 文心雕龍) ; ce qui permet à la fois de donner une légitimité à la littérature et d’accréditer l’idée qu’il est possible d’écrire et de penser après les Classiques. D’après le Zuozhuan (Xianggong 24), il y a trois possibilités d’atteindre l’immortalité, de « ne pas pourrir » (不秀) : dans l’ordre décroissant, « instituer la vertu » 立德, « instituer des mérites personnels » 立功 et enfin « instituer des mots » 立言. Il est également intéressant de noter que chez Cao Pi par exemple, le littérateur idéal est non seulement doué pour le maniement du langage mais il est aussi et surtout un maître à penser, un  « homme de bien accompli », 彬彬君子 qui parvient à « transmettre à la postérité »,傳 et à « fonder une école de pensée », 成一家之言. Ainsi nous pouvons penser que lorsque Kwòn Kùn loue les talents de Chòng Dojòn en recourant à une terminologie traditionnelle bien convenue, il cherche en fait à en faire un maître fondateur du néo-confucianisme dans une Corée qu’il a auparavant qualifiée de parfaite héritière de la civilisation la plus raffinée (彬彬文學).

 
 

Texte original

Traduction

近雖不才。幸得與從遊之列。以聞餘論。又幸不鄙而命之序。故敢引於卷端。奉翊大夫成均大司成,進賢館提學,知製敎權近。序。

Moi, Kwòn Kùn, bien que je ne sois pas talentueux, j’ai eu par chance l’occasion de me trouver en compagnie de ses disciples et je transcris ici ce que j’ai entendu. Par chance également, je n’ai pas été jugé trop incompétent pour recevoir l’ordre de rédiger cette préface. Voilà pourquoi je me permets de glisser une introduction en tête de cet ouvrage.

 

 
 
Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS