Autour du texte : 鄭三峯道傳文集序
Onglets principaux
Justification du choix de cette préface dans le cadre du GDT
J’ai choisi cette préface pour plusieurs raisons :
elle est rédigée par un lettré célèbre pour un autre lettré tout aussi célèbre à une époque charnière : fin Koryò-début Chosòn (intérêt historique : histoire générale et histoire des idées)
elle pose des problèmes de datation, ou du moins sa datation entraîne des interprétations historiques très intéressantes
on ne connaît pas bien le commanditaire exact de cette préface ni le public auquel l’auteur la destine (problème partiellement lié à sa datation)
ces problèmes de datation, de commanditaire et de public visé entraîne des interrogations sur l’histoire des textes en Corée, sur la spécificité -s’il y a- du genre de la préface
elle montre bien le rapport à la Chine et la façon dont un lettré coréen de fin Koryò-début Chosòn voit son pays (en particulier sur le plan de l’histoire de l’appropriation coréenne du néo-confucianisme)
elle pose des problèmes de traduction (ma traduction-interprétation infléchit très fortement mon commentaire ultérieur) et elle me permet de poser quelques principes personnels nés de la fréquentation et de la traduction académique de ce genre de textes (en chinois classique, traitant de l’histoire des idées)
Remarques générales sur les problèmes soulevés par la traduction de ce type de texte
Je ne reviendrai pas ici sur les difficultés de traduction liées au chinois classique, que nous avons déjà eu l’occasion de voir dans ce GDT (concision, absence de temps et de connecteurs logiques parfois, etc…).
Tout d’abord, je voudrais dire que les remarques que Yannick m’a envoyées (que je joins à ce commentaire) mettent le doigt sur une orientation personnelle dans les choix de traduction : j’ai tendance à « expliquer » et à « ajouter des mots » qui ne sont pas dans le texte original.
Je vais tenter de me justifier.
Je pars du principe que si l’auteur destine cette préface à un public averti, qui comprend les sous-entendus et les allusions, je ne traduis pas en revanche pour des lettrés de fin Koryò-début Chosòn…De plus, il s’agit de faire une première traduction en français pour un public a priori « vierge »…Le but de ma traduction est d’abord de rendre accessibles des textes que personne -ou du moins peu de gens- ne lirait dans l’original (soit par manque de temps, soit par méconnaissance du chinois classique). Il me semble que ce qui prime dans une entreprise de première traduction, c’est surtout le sens. Il ne s’agit pas bien entendu de gommer les aspérités du texte et de faire une traduction lisse, en « beau français » ; j’insiste sur ce point. Cependant, le texte original est rédigé dans un style très pur, très classique, très beau. Je suis donc contre l’idée d’une trop grande exactitude pour respecter l’original qui rendrait la traduction française lourde et maladroite. Le chinois classique permet de faire des bijoux de prose que le français actuel ne peut pas totalement rendre dans toute sa concision et ses ellipses. Ainsi, j’essaie dans mes traductions de rendre un texte tout aussi « coulant » et agréable à lire, tout comme l’est l’original pour les happy few qui déchiffrent le chinois classique…
L’une des conditions pour qu’un texte soit agréable à lire, c’est de le comprendre. C’est particulièrement vrai, je pense, dans le cas de textes dits philosophiques… Ainsi, s’il ne s’agit pas bien entendu de faire de la traduction un texte français, traitant de concepts de notre tradition philosophique, je refuse de faire de la « gourouistique », comme dirait Anne Cheng, en traduisant de façon absconse les notions…Le recours à des périphrases est parfois indispensable. Il est nécessaire au traducteur, au lecteur français du XXIe siècle, de tenter de comprendre les notions en jeu et donc de faire comprendre en français sa propre lecture des textes. Il n’y a pas de définition exacte possible, de traduction mot à mot des différents termes tels que 道, 性, 情, 心, 極, 盡, 信, 正, 理, 學, 文, 儒, pour ne citer que ceux qui sont mentionnés dans ce texte…De plus, chaque traducteur présente sa traduction, donc son interprétation de ces notions. La traduction, la première en particulier, cherche moins à donner LE sens que celui qui a paru plausible au moment t à un lecteur-traducteur x : sa traduction est nécessairement temporaire et herméneutique. C’est, je crois, le problème et la limite spécifiques de la traduction de textes qui traitent de notions philosophiques. Nous pouvons d’ailleurs arguer que c’est d’ailleurs ce que font tous les penseurs chinois et coréens : ils essaient de déchiffrer, de comprendre, de « traduire » des notions…Toute la tradition confucéenne en particulier ne se constitue que d’exégèses et de commentaires divers et parfois contradictoires sur les notions. Il s’agit moins d’élaborer des systèmes philosophiques clos et personnels comme en Occident que de s’insérer dans le 傳, dans le 教, dans la transmission du Dao, 道通 ainsi que d’épuiser le sens, 盡, et de se laisser « traverser par les textes », 通…
Ainsi, je traduis pour proposer une lecture-interprétation personnelle. C’est la limite de ce type de démarche. Le champ actuel des traductions et donc des recherches sur ce type de texte n’est pas encore assez large. C’est pour cela que je pense qu’il faut « ouvrir la voie » et pour cela il faut tout d’abord donner le goût du texte et faire partager le « plaisir du texte ». Voilà pourquoi, en l’état actuel de mon propre cheminement intellectuel et du champ des études coréennes, la traduction de textes comme celui que je propose doit tendre à faire comprendre l’enjeu des thèmes et des notions traitées ; et cela passe nécessairement par une tendance à « l’explication » et aux « ajouts ».
Présentation du texte et des problèmes soulevés
La datation de cette préface pose des problèmes. En effet, Kwòn Kùn ne précise pas. Nous noterons d’ailleurs que l’exemplaire de la préface qui est aujourd’hui dans le Sambonjip, il n’y a pas mention des titres de K.K. qui nous permettent de dater ce texte; ce n’est que dans l’exemplaire qui est dans le Yangch’onjip que nous trouvons ces derniers.
Dans son ouvrage 鄭道傳思想의 研究 (서울 대학교 출판부, rééd. 1997, première édition 1973), 韓永愚 dit que cette préface daterait de 1385, donc de Koryò.
Cependant, le ton résolument anti-bouddhiste et l’appel à des temps nouveaux et meilleurs de cette préface sont étonnants.
Je vais énumérer les arguments en faveur d’une datation sous Koryò :
-Le titre honorifique de « gentilhomme » Pongik, pongik daebu, date de Koryò. En revanche, le terme de Sònggyun date de Chosòn, plus exactement à partir de la 4ème année du règne de Taejo, c'est-à-dire de 1395. On parlait de Chinhyòngwan, 進賢館 sous Koryò…Nous pouvons penser que les titres de KK qui sont énumérés dans l’exemplaire du Yangch’onjip ont été accolés en fin de préface sous Chosòn, lors d’une des éditions du Yangch’onjip. Peut-être que les compilateurs n’ont pas fait trop attention en parlant de Sònggyun…
-Nous pourrions penser qu’une édition des œuvres d’un lettré avait lieu après sa mort or nous pouvons remarquer que Chòng Dojòn rédige une préface, datée, pour un Doùn munjip en 1388 et à cette date, Yi Sungin est toujours vivant (il meurt en 1392). Ainsi, cette préface de KK peut fort bien être rédigée du vivant de Chòng.
-KK déclare que Chòng est très lié avec Chòng Mongju et Yi Sungin. Si cette préface datait de 1398, date de l’édition princeps du Sambongjip, il ne dirait certainement pas cela. Nous savons en effet qu’à la toute fin de Koryò, Chòng Mongju a cherché à évincer Chòng Dojòn en des termes peu amènes et qu’ils sont devenus de vrais ennemis politiques. Quant à Yi Sungin, c’est Chòng Dojòn qui donne l’ordre de le faire assassiner au tout début de Chosòn. Autant ces trois hommes étaient amis dans leur jeunesse, autant ils se montent les uns contre les autres avec la fin de Koryò.
-KK décrit les ouvrages de Chòng or il ne mentionne aucune de ses œuvres principales, qui datent toutes du début de Chosòn. Les ouvrages qu’il énumère sont ceux que Chòng aurait écrits lors de son premier exil (de 1375 à 1384).
-Nous ne trouvons aucune mention de la fondation de Chosòn, comme c’est le cas dans les autres préfaces qu’il rédige pour les œuvres de Chòng datant de la nouvelle dynastie (par exemple, sa préface au Bulsijap’pyòn datée de 1398).
Ainsi, il est plus que probable que cette préface date de 1385, juste une année après le retour d’exil de Chòng, qui a obtenu des postes grâce à Yi Sùnggye notamment et qui fréquente à nouveau Chòng Mongju. Il se rend en ambassade à la cour des Ming et obtient un poste au Collège des Lettrés. Dans ce cas, cette préface est tout à fait étonnante.
Comme nous l’avons précédemment dit, KK se montre très anti-bouddhiste et semble bien appeler à une ère nouvelle. C’est très intriquant et cela nous amène à nous poser la question du commanditaire de cette préface. Ce n’est pas très clair dans le texte. Serait-ce Chòng lui-même, ou d’autres lettrés de son entourage, ou bien encore le roi U ?
Quelle que soit la réponse, nous pouvons conclure que cette préface n’est pas conventionnelle pour l’époque. Je crois pour ma part qu’il s’agit d’une préface qui n’est pas commanditée par le roi. Cela me ramène à m’interroger sur une édition supposée du Sambongjip à cette date et donc à la question de savoir s’il ne s’agit pas là d’un exemple de préface à une compilation personnelle, non officielle des œuvres d’un lettré contemporain.
L’édition princeps du Sambongjip date de 1397 (du vivant de Chòng, qui meurt en 1398). Elle est connue sous le nom de Hongmu ch’obon 洪武初本 et elle est faite par le fils de Chòng, Chòng Chin (鄭津). Cette édition en 2 volumes, regroupant surtout de la poésie, est aujourd’hui perdue. Nous savons toutefois que c’est KK qui a mis les points de « ponctuation ».
La seconde édition date de 1465 et elle est flanquée d’un 後序 de Sin Sukju.
La troisième date de 1486 et la quatrième, édition dite d’Andong, de 1487 (il y a alors 8 volumes, dont les 2 qui renferment le 경제문감et le 경제문감별집 sont aujourd’hui conservés à la SNU)
La dernière édition, elle, date de 1791. Elle a été commanditée par le roi Chòngjo, qui souhaitait réhabiliter Chòng. C’est celle que nous lisons aujourd’hui or elle a fait subir d’importantes transformations aux éditions antérieures. Il y a des passages entiers qui auraient été supprimés et des notes explicatives ont été ajoutées.
Dernière remarque : j’ai une interrogation par rapport au texte tel que nous le lisons ici. Il y a eu une rectification de caractère pour cause de caractère taboué sur le nom de Taejo ; or, si cette préface date bien de 1385, ce n’est pas possible. Ainsi, nous lisons aujourd’hui le texte d’une édition bien postérieure à la rédaction.
Je me demande ainsi à quoi correspond ce Sambongjip dont la préface date de 1385…Est-ce que sous Koryò, il existait des compilations non-officielles, auxquelles on rédigeait des préfaces ? Cela pourrait en tous cas expliquer le ton de KK et le fait que cette préface ait été intégrée de façon plus tardive lors des éditions sous Chosòn.
Répondre à toutes ces questions pourrait nous aider à affiner la définition de l’objet « préface » que nous étudions.