Autour du texte : 허생전(許生傳)

Pak Chiwŏn, de son nom de plume Yŏnam 燕巖 « le rocher des hirondelles », fut un lettré doté d’immenses talents, mais c’est tardivement qu’il entra dans la fonction publique où il n’eut qu’une carrière relativement modeste. Resté dans la mémoire collective comme un des grands penseurs du XVIIIe siècle coréen, les historiens du XXe siècle n’ont pas manqué d’en faire l’une des figures de proue du mouvement des « études pratiques » (sirhak 實學) de même que de l’école des « savoirs du Nord » (Pukhak 北學).

 

Ce yangban 兩班 issu du clan des Pak de Pannam 潘南 naquit et grandit non loin de Séoul. À l’instar de son père, il semble n’avoir guère manifesté d’enthousiasme vis-à-vis des concours d’entrée de la fonction publique, malgré des dispositions précoces. Au lendemain de son mariage en 1752, il passa le plus clair de son temps avec son beau-père, Yi Poch’ŏn 李輔天, et l’oncle de son épouse, Yi Yangch’ŏn 李亮天, à approfondir les textes fondamentaux de la tradition chinoise. Et c’est à cette époque qu’il entama la rédaction de nouvelles dont certaines encore très fameuses. Les années suivantes furent assombries par la perte de sa mère, en 1759, puis par celle de son père en 1767.

 

Reçu premier (changwŏn 壯元) à la première étape du concours de la Licence (kamsi 監試) en 1770, il se présenta à la seconde (hoesi會試), mais refusa inexplicablement de rendre sa copie. Cet incident marqua un tournant dans sa vie, puisqu’il se retira du monde pendant l’essentiel des quinze années suivantes, en se fermant ainsi les portes de la fonction publique. Il vécut notamment près de Kaesŏng 開城, au lieu-dit Yŏnam dont il fit son nom de plume. C’est aussi à cette période qu’il se lia d’amitié avec différents lettrés appelés à devenir les pierres angulaires de l’école des savoirs du Nord : Hong Taeyong, Pak Chega, Yi Sŏgu et Yi Tŏngmu, pour n’en citer que certains.

En 1780, Pak Chiwŏn eut l’opportunité de de se joindre à une ambassade assez exceptionnelle, accompagnant en Chine son proche parent Pak Myŏngwŏn. L’empereur Qianlong (r. 1736-1795) avait en effet convié les représentants de tous les pays tributaires aux célébrations de son 70e anniversaire. Aussi Pak Chiwŏn visita-t-il non seulement Pékin mais également Jehol 熱河 – l’actuelle Chengde 承德 – qui abritait la résidence d’été des empereurs, dans le nord-est de la capitale chinoise. De ce séjour, il laissa d’ailleurs un Journal de voyage à Jehol (Yŏrha ilgi 熱河日記) rapidement élevé au rang de modèle du genre, au point de faire l’objet d’une publication et de connaître une large diffusion.

 

C’est en 1786, à presque cinquante ans, que débuta la dernière phase de l’existence de Pak Chiwŏn. Toujours en butte à des difficultés financières, sur recommandation d’un ami, il entama une modeste carrière au sein de la fonction publique. Il obtint tout d’abord une charge de surveillant au Bureau des Travaux et Réparations (Sŏn’gonggam kamyŏkkwan 繕工監監役官, pour tout ce qui avait trait aux bâtiments de l’État et à ceux des cérémonies (rang 9b). Il enchaîna ensuite plusieurs autres postes, avant d’embrasser la fonction de magistrat de district, d’abord à Anŭi 安義 (province du Kyŏngsang) en 1791, puis à Myŏnch’ŏn 沔川 (province du Ch’ungch’ŏng) en 1797, et enfin  celle de préfet de Yangyang 襄陽 (Kyŏngsang) en 1800. Malade, il se retira l’année suivante à Séoul pour y finir ses jours.

Au nombre de ses descendants se trouve notamment son petit-fils, Pak Kyusu 朴珪壽 (1807-1877) qui, pour sa part, se distingua par une brillante carrière dans la fonction publique – il fut ministre à plusieurs reprises – tout en étant l’un des principaux artisans de l’« ouverture » de son pays, dans la continuité de son grand-père.

 

Pak Chiwŏn est particulièrement renommé pour son Journal de voyage à Jehol, déjà mentionné, et tout un ensemble de nouvelles à caractère satirique qui dépeignent la société coréenne de son temps. Constamment réédités, ses écrits ont donné lieu à de multiples transpositions en coréen moderne, et même, quoique partiellement, en anglais et en japonais. Cette traduction est néanmoins la toute première en langue française.

 

Notre auteur, souvent très critique à l’égard du modèle économique coréen, par trop replié sur lui-même, voire sclérosé par les monopoles d’État, prônait une plus grande ouverture – ou du moins un plus grand libéralisme – imitant en cela la Chine dont il avait pu apprécier la prospérité de ses propres yeux. C’est pourquoi il exhorta constamment ses compatriotes à emprunter à cette Chine acquise aux « barbares » mandchous plutôt que de se cantonner à la dénigrer. Pak Chiwŏn déplorait en outre la détérioration des relations d’amitié et de solidarité au sein de la classe des yangban, et couchait par écrit l’éloge des petites gens. À ce titre, on peut dire qu’il introduisit au cœur de la littérature coréenne en chinois classique des conversations dites de places publiques. D’ailleurs, son nom ne tarda pas à rejoindre la liste des auteurs et ouvrages précisément visés par une inquisition littéraire du début des années 1790, après les publications chrétiennes, celles de lettrés chinois tels que Wang Yangming 王陽明 (1472-1529), les fictions populaires ou les œuvres en prose des Ming et des Qing.

 

L’Histoire du lettré Hŏ qui va suivre apparaît avec une autre nouvelle dans le Journal de voyage à Jehol. C’est l’un des textes les plus illustres de Pak Chiwŏn. On ne s’étonnera donc pas qu’il fasse l’objet d’un enseignement régulier, encore aujourd’hui, dans les collèges et lycées de Corée du Sud. Le protagoniste est un lettré sans le sou. Jusque-là plongé dans ses livres, il décide un beau matin de se lancer dans le commerce. Et cela lui réussit tant et si bien qu’il amasse une immense fortune. Mais, finalement, il se résout à la jeter à la mer, avant de se retirer hors du monde. Ce récit met en scène une utopie insulaire qui n’est pas sans rappeler les aventures de Hong Kiltong 洪吉童, décrites par Hŏ Kyun 許筠 dans un célèbre au début du XVIIe siècle. Mais laissons à présent le génial Pak Chiwŏn nous conter lui-même son histoire.

 

Cette traduction a été réalisée dans le cadre du cours de

« Perfectionnement en chinois classique » à l’université Paris Diderot (M2, année 2017-2018)

avec les étudiants suivants :

 

Anne-Lise Allègre

Jaouad Almaoui

Victoria Augustin

Clara Belloc

Marie Calio

Jamaa Gangojch

Anaïs Ouikede

 

La traduction a été revue et annotée par Pierre-Emmanuel Roux.

Note relative au texte source

 

L’édition que nous avons utilisée est la suivante :

 

Yŏnam chip 燕巖集 (Œuvres de Yŏnam), par Pak Chiwŏn 朴趾源, Keijō, [s.n], 1932, 17 kwŏn. [Bibliothèque Nationale de Corée].

 

C’est cette édition qui est utilisée sur le site de l’Institut de traduction des classiques coréens (http://db.itkc.or.kr/)

 

 

 

(fichier mis à jour le 21 juin 2020)

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS