Compte rendu

Compte rendu : “Korean-American Evangelical Christian Missions and the Politics of Difference”

 © Ken Jones

© Ken Jones

 

Le 10 avril 2015, dans le cadre du séminaire pluridisciplinaire du Centre de Recherches sur la Corée (CRC), Judy Han (Assistant Professor in Geography, University of Toronto, chercheuse accueillie au CRC) a présenté une communication intitulée “Korean-American Evangelical Christian Missions and the Politics of Difference”, tirée de son ouvrage à paraître sur les missions évangéliques sud-coréennes et coréennes-américaines. Son domaine d’étude est à la croisée de la géographie sociale et culturelle, de l’étude de genre et des études coréennes. Elle a codirigé avec Jennifer Chun un numéro spécial, “Gender and Politics in Contemporary Korea”, Journal of Korean Studies, volume 19, n° 2, Fall 2014.

Judy Han fait une étude des missions évangéliques, de leurs stratégies de développement dans une perspective comparée. Quelle histoire racontent ces missions évangéliques à l’étranger ? Quel rôle jouent-elles ? Elle tente de répondre à ces questions à travers ses enquêtes de terrain menées en Ouganda et en Tanzanie. Sa présentation s’est concentrée sur les églises de petite et moyenne congrégation regroupant 50 à 200 personnes qui représentent la majorité des églises protestantes en Corée (80%).

Elle a indiqué en préambule la croissance exponentielle du christianisme en Corée et la multiplication des églises. En 2006, la Corée a envoyé le plus grand nombre de missions évangéliques à l’étranger avec 20 000 missionnaires dans 169 pays et occupe aujourd’hui la seconde place des pays qui envoient le plus de missions évangéliques. Ces missions de tout ordre (médical, taekwondo, diaspora) offrent, selon Judy Han, une alternative post-coloniale à la précédente vague de missions prosélytes occidentales qui sous le couvert d’un projet d’éducation morale et religieuse, avaient un agenda politique teinté de colonialisme.

La Corée se positionne ainsi en tant que pacificateur intermédiaire et nouvelle puissance globale. Selon l’une des thèses développées par Judy Han dans son prochain ouvrage, ce désir de prosélytisme (« reaching and teaching ») s’inscrit dans le cadre de mission post-orientaliste de différence raciale, basée sur la compassion et l’empathie. Ces actions ne sont pas nécessairement anti-racistes et anti-coloniales.

Judy Han a fait partie en 2006 d’une mission évangélique d’un mois en Afrique (Rwanda, Burundi, Ouganda et Tanzanie), organisée par « Global Mission Frontier » (GMF), une organisation coréenne-américaine à but non-lucratif. Les deux tiers des 150 participants étaient des femmes, de Corée du Sud ou des Coréennes-américaines. Outre des visites dans des églises, des orphelinats et des camps de réfugiés avec distribution de médicaments et matériaux scolaires, la mission organise des ateliers sur la « Maternité chrétienne » ou sur le développement économique, calqué sur le mouvement Saemaul Undong (« Mouvement de nouvelles communautés », 1970-1979) visant à améliorer la vie des communautés rurales. Les missionnaires coréens sont des retraités ou de jeunes Coréens souhaitant créer une coupure spatio-temporelle (« Spatio-temporal break ») avec leur vie en Corée. En quête de nouvelles expériences ou en conflit familial, ils espèrent écrire un nouveau chapitre de leur vie à leur retour en Corée.

Ces missions reprennent tous les éléments d’un voyage classique à l’étranger. Elles sont d’autant plus populaires qu’elles offrent la sécurité d’un voyage organisé (60% sont des voyages de groupes), « all inclusive package », avec un itinéraire fixe, un guide local, un interprète, le confort de voyager avec d’autres compatriotes, sans oublier la possibilité d’avoir un menu coréen. Judy Han a pu observer l’existence d’une hiérarchie sociale interne stricte entre les membres de ces missions qui se voient confier des tâches précises en fonction de leur âge et sexe : les femmes plus âgées sont en charge de la cuisine et du nettoyage, les jeunes femmes s’occupent des enfants, les hommes plus âgés animent des séminaires sur l’économie ou sur les compétences en leadership, tandis que les jeunes hommes sont au plus bas de cette hiérarchie assurant des tâches de tout ordre.

Judy Han conclut sa présentation en soulignant le rôle complexe des missions évangéliques coréennes en Afrique. Il y a d’un côté la volonté d’accroître le nombre des convertis, mais ces tentatives ne se doublent-elles pas d’une vision colonialiste où la Corée essaye de se placer en « sauveur » auprès de ces populations ? En 50 ans, la Corée est passée du statut de « aid-receiving country » à celui de « aid-sending country ». C’est précisément sur ce point que les missions évangéliques coréennes-américaines entendent faire reconnaître leur légitimité ; elles sont convaincues de leur plus grande capacité à l’empathie et à la compassion, et donc de leur plus grande efficacité dans les pays en voie de développement car la Corée a aussi été par le passé un pays pauvre. En prêchant un modèle de développement coréen, ces missions laissent entendre que les pays en voie de développement pourraient atteindre le même niveau de prospérité que la Corée.

 

Ariane Perrin
Pour le Réseau des Études sur la Corée

 

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS