Compte rendu

Compte rendu : ‘Une « post-division » coréenne ? Regards croisés franco/sud-coréens sur la péninsule divisée’

 

« Compte rendu de l’atelier du 6 février 2015 : ‘Une « post-division » coréenne ? Regards croisés franco/sud-coréens sur la péninsule divisée’ »

Par Valérie Gelézeau (EHESS)

Cet atelier qui a duré toute une après-midi a été organisé à la Maison de l’Asie dans le cadre du séminaire pluridisciplinaire d’études coréennes du Centre de recherches sur la Corée de l’EHESS, en partenariat avec le groupe « Social Science Korea » (SSK) de l’université Dongguk, et avec le soutien du Réseau des études sur la Corée (Paris-Diderot, EHESS, INalCO). Il a réuni une douzaine de chercheurs venant principalement de France et de Corée du Sud et drainé un public d’une quarantaine de personnes (http://korea.hypotheses.org/8181).

L’atelier a présenté et confronté deux projets collectifs qui ont émergé en parallèle au milieu des années 2000 (et au départ sans liens entre eux) sur la question de la division coréenne. L’un français conduit au Centre de recherches sur la Corée de l’EHESS et intitulé « Les interfaces nord-sud dans la péninsule coréenne » (http://crc.ehess.fr/index.php?223) a mobilisé la notion géographique d’interfaces pour étudier, dans une perspective pluri-disciplinaire différents types de contacts entre les deux Corée (qu’ils soient matériels ou non), comme les frontières, mais aussi les échanges culturels, ou encore les discours des agences de presse ou du cinéma sur « l’autre Corée ». L’autre projet, sud-coréen, émane d’un groupe de recherches de l’Université Dongguk, qui tente de discuter la division de la péninsule à la lumière de la théorie de l’acteur-réseau (B. Latour). Il s’agit donc de deux projets de recherche collectifs, qui apparaissent comme des produits scientifiques de l’après-guerre froide, des réflexions sur la division coréenne qui ont émergé suite à la réunification allemande et l’effondrement du bloc soviétique, au tournant du XXIe siècle, et surtout de la période de rapprochement entre les deux Corées entre 1998 et 2008 (correspondant à la mise en œuvre de la Sunshine Policy – Haetpyŏt chŏngch’aek en Corée du Sud). Ces deux projets sont très comparables par la mise en œuvre d’une tentative de penser la division coréenne autrement que comme une donnée extérieure à la fois territoriale (partition des États) et politique (deux systèmes antagonistes et ennemis), ou comme une toile de fond des questions sociales, politiques et économiques – qui apparaît comme un problème à résoudre. Les deux projets montrent au contraire comment la division constitue une dynamique qui ne cesse de produire, à tous les niveaux, ses effets dans les deux sociétés nord- et sud-coréenne.

Deux panels successifs ont illustré les deux projets et les approches mises en oeuvre (voir ci-dessous le programme avec le titre des communications et les résumés de certaines d’entre elles).

Le premier panel, intitulé « Cadrages » et modéré par Shin Hyun Tak (Université Dongguk), a présenté trois communications générales. Les deux premières, de Valérie Gelézeau (EHESS) (Méta-culture/méta-nation coréenne. En finir de manière indisciplinée avec les interfaces) et de Park Sunsong (Université Dongguk) (« Système de division » de la Corée » et acteur(s)-réseau(x) de la (post-)division coréenne), ont présenté les deux projets, leur histoire, les concepts et la problématique, et les principaux résultats. La troisième communication, par Koen De Ceuster (Université de Leyde) (De-bordering Korea. Beyond the Sunshine Decade) présentait un commentaire d’une des principales productions du projet français (De-bordering Korea. Tangible and Intangible Legacies of the Sunshine Policy paru chez Routledge en 2013 – http://korea.hypotheses.org/4449).

Le deuxième panel, « Focus », modéré par Valérie Gelézeau, a présenté deux des nombreux cas d’études travaillés lors de ces deux projets. Kwak Jeongrae (Université nationale de Séoul), dans une communication intitulée « Evolution des moyens de communication en Corée du Nord » a notamment discuté un terrain systématique réalisé à la frontière sino-nord-coréenne, lui ayant permis de mesurer de manière particulièrement fine l’évolution de ces moyens et de revenir sur l’idée reçu de la Corée du Nord comme isolat hermétique. La deuxième communication, par Yim Eunsil (Université Paris-Diderot) (La confrontation Nord/Sud au-delà de la péninsule : les Coréens du Kazakhtsan) a exposé le cas particulier de la « guerre des langues » que les deux Corées se sont livrées au tournant des années 1990, par l’intermédiaire de diverses institutions, sur les communautés de Koryŏ saram (Coréens de l’ex-Union soviétique).

Suivis par un public nombreux, les deux panels ont été suivis d’un débat animé en trois langues (français, anglais et coréen), l’interprétation français/coréen des discussions ayant été assurée plus particulièrement par Koo Mo-duk (INalCO).

Résumé de la communication de Valérie Gelézeau : Méta-culture/méta-nation coréenne. En finir de manière indisciplinée avec les interfaces

Ce titre un peu impertinent permet d’introduire le projet collectif du Centre Corée (« Les interfaces Nord/Sud dans la péninsule coréenne »), suivi sur 10 ans et marqué par quelques jalons et productions collectives : d’abord un projet ANR, qui s’est clôturé par un colloque (2008), ensuite, un article écrit à 16 mains (réellement à 8 personnes !) paru dans la revue EspacesTemps.net en 2010 (http://www.espacestemps.net/articles/interfaces-et-reconfigurations-de-la-question-nordsud-en-coree/) ; enfin un livre collectif co-édité avec Koen de Ceuster et Alain Delissen De-bordering Korea. Tangible and Intangible Legacies of the Sunshine Policy (2013 Routledge). Ce projet, qui a réuni 10 personnes, dans 6 disciplines a d’abord été structuré par la transversalité : il ne s’est pas simplement agi de juxtaposer les cas d’études abordant les interfaces entendues comme tous les types de contacts pouvant exister les deux Corée. Trois grands types d’interfaces ont rapidement été identifiées : spatiales (les frontières et les hauts-lieux Kaesŏng, Kŭmgang), sociales (des groupes comme personnes venant du Nord habitant au Sud – au sens très large, migration récente ou plus anciennes) et enfin les interfaces symbolique (essentiellement les discours de l’une Corée sur l’autre).
Mais surtout, le projet a utilisé l’interface comme méthode de réflexion, en travaillant ce concept venu de de la biologie et des sciences informatiques et qui désigne un élément de liaison entre deux systèmes qui, sans cela, ne pourrait pas communiquer, plutôt qu’une notion comme celle de « frontière » déjà largement travaillée par les sciences sociales.
Or c’est justement grâce à cette indiscipline de l’approche par les interfaces, que mon approche géographique de la frontière a pu évoluer. Je conçois aujourd’hui la frontière coréenne comme une frontière épaisse (loin de se limiter à un simple trait sur une carte, elle crée de multiples frontières sociales, anthropologiques, culturelles à tous les niveaux des deux sociétés concernées dans les deux Corées), et en construction permanente, comme une zone de tectonique de plaques géopolitiques. Cette frontière est d’ailleurs un bon exemple d’une « méta-frontière » (Michel Foucher), c’est-à-dire une frontière qui dépasse temporellement et spatialement le territoire dans lequel elle s’inscrit au départ : elle s’exporte globalement dans le monde de la diaspora coréenne à la Corée. Méta-frontière connectée à une « méta-culture », cette frontière permet de reconsidérer la question nationale en Corée : n’est-on pas confronté à une nouvelle géométrie de la nation et ne faut-il pas, finalement, parler de « méta-nation » coréenne ?

Résumé de la communication de Yim Eunsil : La confrontation Nord/Sud au-delà de la péninsule : les Coréens du Kazakhstan

Depuis la fin des années 1980, les Coréens de l’ex-Union soviétique, qui ont été déportés de l’Extrême-Orient de la Russie en Asie centrale en 1937, sont devenus l’objet de luttes d’influence opposant les deux États coréens. Cependant, l’effacement relatif de la Corée du Nord par rapport à une présence ostentatoire de la Corée du Sud dans l’espace post-soviétique tend à accréditer l’hypothèse selon laquelle la confrontation Nord/Sud n’est plus d’actualité. La trop grande inégalité économique entre les deux États en faveur de la Corée du Sud rendrait caduque toute logique de concurrence qui prévalait jusqu’alors. En s’appuyant sur le croisement de différents résultats obtenus lors des enquêtes de terrain, menées essentiellement au Kazakhstan post-soviétique, cette présente communication se propose d’examiner le face-à-face des nord et sud-coréens – à travers l’exemple de la « guerre des langues » (1989-1991) – et les effets qu’il induit sur le processus de (re)construction de l’identité collective de cette diaspora coréenne.

Pages

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS