Compte rendu

Laurent QUISEFIT, « Dépouillement des fonds Louis Marin aux Archives Nationales et au Musée Guimet. Rapport de terrain : janvier – mars 2016 »

Travaillant sur les relations franco-coréennes et préparant une présentation dans le cadre du colloque sur La France et le mouvement d’indépendance coréen organisé à l’Université Paris Diderot en avril 2016, j’ai découvert qu’une bonne part des archives personnelles de Louis Marin, président de l’association Les Amis de la Corée en 1921, avaient été déposées aux Archives Nationales. Il m’a paru nécessaire d’en assurer le dépouillement, non seulement dans le cadre de la préparation de ce colloque, mais aussi afin de présenter le contenu de ces archives au public susceptible d’être intéressé. Une bourse postdoctorale du RESCOR m’a permis de soutenir cette entreprise qui s’inscrit également dans une démarche personnelle plus large de traitement et de valorisation de fonds d’archives relatifs à la Corée conservés en France et encore méconnus.

Louis Marin (1871-1960), surtout connu comme homme politique français, député de Meurthe et Moselle et plusieurs fois ministre, partisan du catholicisme social et républicain, mena aussi, on le sait moins, une carrière en tant qu’ethnologue. Voyageur infatigable de 19 à 34 ans principalement en Europe et en Asie, il enseigne l’ethnographie de 1895 à 1935. Il est membre du Collège des sciences sociales, de la Société d’ethnographie, de l’École d’anthropologie, qu’il préside à partir de 1923, mais adhère aussi à la Société de géographie commerciale, qu’il préside de 1925 à 1960. On le retrouve à la Société française de pédagogie, à la Société des amis du Muséum national d’Histoire naturelle. Président de l’Institut international d’anthropologie, il devient président de la Société de statistique en 1930. Il entre à l’Institut en 1945.

Louis Marin a voyagé en Asie en 1901, au cours d’un long périple, qui le conduira à visiter la Corée. Ce voyage a été entrepris avec une poignée d’amis, parmi lesquels Georges Ducrocq, l’auteur du livre intitulé Pauvre et douce Corée. Si Louis Marin n’a pas laissé un tel ouvrage, il a rapporté de nombreux objets ethnographiques dont il a fait don à divers musées et organismes de recherche1.

En 1921, alors que Louis Marin est à nouveau député, il est approché par un groupe de français, sympathisants de la cause de l’indépendance coréenne. Se fondant sur son autorité morale, politique et érudite, les fondateurs de l’association lui demandent ainsi de prendre la présidence d’une association des Amis de la Corée, ce qu’il accepte volontiers, malgré ses nombreuses obligations. C’est en recherchant des documents concernant l’association des Amis de la Corée parmi les documents de Louis Marin conservés aux Archives nationales, que j’en suis venu à travailler sur son président.

Les Archives Louis Marin

Les archives Louis Marin sont réparties principalement sur trois sites :

  • Les Archives nationales : Le premier et le plus imposant des fonds d’archives y est conservé sous la cote 317AP et comprend environ 270 références. Il s’agit en réalité de 270 boîtes d’archives. Celles-ci ne sont que sommairement classées, malgré un inventaire général. Il s’agit principalement de documents relatifs aux fonctions politiques exercées par Louis Marin. Cependant, quelques cartons abritent la correspondance et les documents concernant la participation de Louis Marin à une impressionnante ribambelle d’associations et groupements. La période des années 1920 est relativement peu représentée, sauf en ce qui concerne les documents administratifs et politiques liés aux charges de député ou de ministre.
  • La Bibliothèque nationale de France a mis un document numérisé à disposition sur Gallica.
  • Le Musée Guimet conserve 4 cartons répertoriés contenant principalement des brochures biographiques, et divers documents, dont des épreuves dactylographiées (mais très pâles) de ses notes de voyages.

Cartons d’archives Louis Marin au Musée Guimet (Bibliothèque). Photo prise par l’auteur en 2016.

En outre, des documents sont probablement conservés aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle :  ce point reste à vérifier.

Bilan : avancées et échecs de la recherche dans les fonds Louis Marin concernant la Corée

Les Archives nationales

Le dépouillement des documents de Louis Marin a été effectué, au départ, dans de cadre de ma participation au colloque sur le mouvement d’indépendance coréen et ses relations avec la France à l’Université Paris Diderot, avant tout dans le but de retrouver les archives de l’association des Amis de la Corée. De ce point de vue, l’échec de la recherche est patent, car aucun document concernant cette association n’a été retrouvé dans les archives de Louis Marin.

Pourtant, l’intuition était bonne. L’analyse serrée de la galaxie d’associations, ligues et comités auxquels Louis Marin a adhéré ou dans lesquelles il a exercé des fonctions — souvent en tant que président — a livré des informations irremplaçables sur le fonctionnement de ces associations, et nous a offert, en creux, des éléments de réflexion sur les Amis de la Corée.

Ainsi, Louis Marin est président des Amis de la Pologne depuis 19052, de France-Roumanie, de France-Arménie, des Amitiés franco-belges, du Comité franco-letton et de plus de dix autres associations. Plus intéressant encore, l’examen des rares listes conservées des membres du bureau de ces associations et comités a révélé exactement les mêmes noms de personnalités que ceux figurant sur les listes de noms de membres actifs des Amis de la Corée, que nous possédons au titre de rapports de police ou bien grâce aux articles de La Corée Libre, revue animée par Félicien Challaye et Scie Ton Fa, membres de l’association.

On y retrouve presque exactement les mêmes figures issues du monde politique et académique. Ainsi, au Comité franco-letton, on retrouve : A. Aulard*3, Mme Curie, Emile Doumergue (Faculté Protestante), Charles Gide*, Paul Labbé (secrétaire général de l’Alliance Française), Louis Marin*, Marius Moutet*, Mme Ménard-Dorian*, Seignobos (professeur à la Faculté de Lettres), A. Meillet. Or, une bonne part de ces grandes figures de l’époque sont membres de la Ligue des droits de l’Homme et se rattachent au courant des anti-dreyfusards, donc à la gauche française, ce qui n’est pas exactement le profil de Louis Marin.

Le Musée Guimet

Les documents conservés Place d’Iéna (quatre cartons) consistent notamment en livres et brochures qui permettent de retracer la riche carrière de Louis Marin. Les cérémonies marquant les 80 ans de Louis Marin sont l’occasion de contempler l’étendue des réseaux tissés par l’ethnologue et le politique. On y apprend par exemple que Scie Ton Fa adressa un message de félicitations à l’ancien président des Amis de la Corée. Les autres cartons contiennent notamment des listes d’objets rapportés de Corée (vêtements, coiffures, objets divers), et des épreuves du journal de voyage mentionné. Parmi ces objets, certains ont été offerts au Musée par la famille de Louis Marin. Nous n’avons pas jugé bon d’en étudier les listes ou les objets dans le cadre de cette recherche.

Le dépouillement a permis de plus de trouver les références de plusieurs articles publiés par Louis Marin présentés ci-dessous. Ces écrits, dispersés dans différentes revues parfois confidentielles, n’étaient pas jusqu’à ce jour répertoriés4, à notre connaissance.

« La civilisation matérielle des Coréens », texte de la conférence donnée à la Société d’ethnographie le 16 mai 1903 (compte-rendu au Journal Officiel du 26 mai 1903).

  • « En Corée : les premiers papetiers et imprimeurs connus », article paru dans La Librairie, le 15 avril 1904.
  • « Souvenirs de Corée », texte publié dans Le Globe-Trotter du 21 avril 1904.
  • « Le papier en Corée », article publié dans la revue Le Papier du 10 mai 1904.

La Bibliothèque nationale de France (BNF)

La base numérique gallica contient une lettre extraite de la correspondance passive de Louis Marin, émanant de Seu Ring-hai (Sŏ Yŏng-hae), et datée du 3 septembre 1945, qui nous offre quelques perspectives sur le travail de cet indépendantiste coréen, étudiant à Paris et assurant le rôle d’ambassadeur officieux du Gouvernement provisoire de la République de Corée (Taehan Min’guk Imsi Chŏngbu) en exil en Chine pendant la période de la colonisation japonaise de la Corée. 

Lettre de Seu Ring-hai à Louis Marin. Source: http://gallica.bnf.fr

Communication et valorisation des résultats de la recherche

Au terme d’un dépouillement fastidieux et somme toute assez frustrant (les archives de l’association des Amis de la Corée ne sont toujours pas découvertes)5, il apparaît cependant que, comme souvent, le chercheur trouve des éléments qu’il n’attendait pas. La plongée dans les archives a permis, à travers les documents relatifs aux autres associations, de comprendre les stratégies présidant à la constitution du groupement des Amis de la Corée, notamment par des lettres d’appel à soutien et adhésion, adressées à diverses personnalités. De même, la présence des mêmes acteurs dans des associations de type extrêmement varié, et en particulier leur appartenance à la Ligue des droits de l’Homme, sont de nature à éclairer les soutiens français à la Corée en 1921, ainsi que les interconnections de l’élite intellectuelle de l’époque (milieux politiques, universitaires, journalistes, etc.).

Les résultats de cette recherche ont été présentés oralement et par écrit, à l’occasion du colloque international sur La France et le mouvement d’indépendance coréen (Université Denis Diderot, 11 avril 2016) et dans le cadre du Centre de Recherches sur la Corée de l’EHESS (UMR 8173 Chine, Corée, Japon), le 19 mai 2017.

  • Communication sur les « Archives françaises relatives au mouvement d’indépendance coréen 1919-1921 », à travers les archives de Louis Marin, et brève présentation des documents historiques émanant de la délégation coréenne à la Conférence de la paix de Paris, conservés à la BULAC.
  • Communication orale et écrite consacrées directement à l’association Les Amis de la Corée. Le texte de cette intervention a été publié dans des actes de colloque, sous le titre : « Les « Amis de la Corée » en France, personnalités et engagements », in Jin-Ok Kim et Marie-Orange Rivé-Lasan (eds.), La France et le mouvement d’indépendance coréen : 한국독립운동과 프랑스, Université Paris Diderot, Kookmin University, The Independance Hall of Korea, Paris, 11 avril 2016, pp. 92-107.
  • Conférence donnée dans le cadre du séminaire pluridisciplinaire du Centre de Recherches sur la Corée de l’EHESS le 19 mai 2017 avec une présentation intitulée « L’association « Les Amis de la Corée » (1921) : des Français au service de la Corée » qui incluait de nouvelles réflexions et pistes complémentaires de recherches sur ce thème.

L’auteur remercie ici le RESCOR pour son financement qui lui a permis notamment de s’équiper en matériel photographique et informatique.

Laurent QUISEFIT

Post-doctorant du RESCOR en 2016

Cet article se trouve aussi dans les Ressources numériques de notre site

  1. Une partie de ces collections semble conservée au Musée Guimet. Nous n’avons encore exploré que les archives.
  2. Rappelons que la Pologne est alors partagée entre la Prusse, la Russie et l’Autriche-Hongrie.
  3. Les noms suivis d’un astérisque sont aussi membres des Amis de la Corée.
  4. Les archives dépouillées ne contiennent aucun exemplaire de ces articles.
  5. Il faut envisager l’hypothèse que Louis Marin ait détruit les maigres documents en sa possession relatifs à cette association trop éphémère.

Pages

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS