Compte rendu

Retour d’expérience de cours de Master en études coréennes donnés à l’université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan en juin 2017

Dans le cadre du nouveau Master Etudes coréennes de l’UFR de Sciences Économiques et de Gestion (UFR SEG) au sein de l’université Félix Houphouët Boigny (UFHB) d’Abidjan, Côte d’Ivoire, a été mis en place un partenariat avec l’université Paris Diderot – Paris 7 (UPD), impliquant la participation de deux enseignants chercheurs de la section d’études coréennes de l’UFR LCAO (Langues et Civilisations d’Asie Orientale) dans la maquette des cours.

Photo 1. Vue panoramique de l’UFR SEG de l’université FHB ; source : © www.ufrseg.ci

Se déployant sur deux années, la formation prévoit 1500 heures de cours combinant, de manière équilibrée et dense, des aspects autant disciplinaires que linguistiques et culturels, et aboutissant à un stage en Corée du Sud. Précurseur en Afrique francophone, l’UFHB ambitionne ainsi de voir aboutir la première promotion de jeunes diplômé(e)s ivoiriennes et ivoiriens en études coréennes dont l’activité répondra à des besoins nouveaux en phase avec la politique de coopération bilatérale impulsée depuis 2014.

La mise en place d’une telle formation a été rendue possible par une volonté politique mobilisant plusieurs partenaires institutionnels sud-coréens (KF, KOICA, KOTRA), mais également grâce au dynamisme des acteurs locaux et en réponse à l’intérêt croissant de la jeunesse ivoirienne pour la péninsule coréenne. Deux porteurs de projets de l’UFR SEG, les professeurs Assi J.C. Kimou et Nestor T. Tito, assistés de leur collègue sud-coréen envoyé par la Fondation de Corée depuis 2015, Hwang Hee-Young, bénéficient, depuis la fin 2016, et ce pour un période de 31 mois, d’une subvention du « Programme des jeunes pousses » en études coréennes (« Seed Programm for Korean Studies ») du KSPS (Korean Studies Promotion Service) de l’Académie des Études Coréennes (AKS).

C’est dans ce contexte que j’ai eu l’occasion de donner un cours de niveau première année d’« Histoire ancienne et médiévale de la Corée » (24h) et d’« Arts et culture de la Corée » (12h), bien conscient de la responsabilité et de l’honneur que peut représenter la participation à ce projet pionnier. Pour des raisons de calendrier, les cours, ainsi que leur évaluation, ont été concentrés sur deux semaines entre le 19 et le 30 juin 2017, constituant des conditions assez éprouvantes pour les étudiants à raison de cinq heures par jour.

Le public de ce nouveau programme de masteurants était constitué de quinze étudiants sélectionnés de façon compétitive (par appel à candidature, test, écrit, entretien, projets..) et provenant de différents UFR (UFR de Sciences économiques, d’Histoire, de Langue et Civilisations étrangères, de Sciences Politiques, de Philosophie) de l’université, certains étant déjà en possession d’un master. Interrogés au départ sur leurs aspirations et projets professionnels, une partie d’entre eux répondait envisager de devenir entrepreneurs, tandis qu’une autre partie aspirait à briguer les fonctions d’enseignant chercheur, ou bien de diplomate ou encore, et plus généralement, de travailler dans les relations entre la Corée et l’Afrique.

Photo 2. La salle de cours dans le bâtiment de Coopération internationale de l’UFHB.

Le site sur lequel se sont déroulés les enseignements était une salle sise au deuxième étage du bâtiment MAI (Master des Affaires Internationales), à proximité du Jardin botanique de Cocody, disposant de matériel de projection ainsi que du Wifi et de l’air conditionné. La logistique était assurée par le professeur Hwang Hee-Young, enseignant sud-coréen de sciences économiques et francophone, qui apportait tous les jours le matériel (et me transportait par la même occasion). La bonne tenue de la salle de cours et la communication entre étudiants et enseignants était assurée par le délégué du cours, Fulgence Kouakou, spécialisé en langue coréenne.

Photo 3. Photo de fin de cours avec les étudiants ainsi que les professeurs Kimou (à gauche) et Hwang (à droite).

La plupart des étudiants, fraîchement initiés à l’étude de la langue coréenne, étaient déjà rompus à la manière coréenne de l’étude, au point d’avoir forgé en nouchi (argot ivoirien mais en passe d’être « créolisé »), le verbe « hwanguer » pour signifier « étudier en faisant tous ses efforts (bosser dur) », construit à partir du patronyme du professeur. Pendant plus de dix jours, les étudiants ont ainsi dû hwanguer pour assimiler en un temps record des contenus tels qu’aspects de l’archéologie des Trois Royaumes, éléments de l’histoire dynastique du Koryŏ, ou pour mémoriser certains « trésors nationaux » kukpo du patrimoine nord ou sud-coréens. En dépit de la densité des cours et de la nouveauté que constituait la plupart des informations et connaissances transmises, les étudiants se sont montrés particulièrement assidus et intéressés, posant fréquemment des questions, permettant ainsi à l’enseignant de jouer pleinement son rôle.

Photo 4. A la fin du cours d’histoire de la Corée prémoderne, le mercredi 28 juin 2017, en présence du professeur Kimou.

L’évaluation comportait deux parties ; la première consistait à rédiger une synthèse d’articles en langue française ou anglaise provenant des ressources en ligne du site web du RESCOR ; la seconde, en un devoir sur table faisant office de contrôle final et comprenant questions de cours, analyse de document et mini-dissertation. Les étudiants ont obtenu de bons résultats et, grâce au dévouement des enseignants de l’UFR SEG, notamment des professeurs Hwang et Kimou, ils auront (ou ont déjà eu au moment où ce billet est publié) l’occasion de mettre rapidement en pratique les connaissances acquises par la réalisation de séjour d’étude, de stage linguistique, ou par l’obtention de bourses d’études gouvernementales, en Corée du Sud.

Photo 5. Quelques étudiants en études coréennes et leur professeur d’histoire de M1, au sortir d’un cours sur le campus de Cocody à l’UFHB.

À ce stade et pour le futur, à partir de 2019, la question de la formation linguistique en coréen à l’UFHB est en effet cruciale car elle détermine en partie l’avenir professionnel de cette première promotion, ainsi que les possibilités de mobilité dans le cadre d’échanges académiques avec la Corée du Sud et la France. Pour ne parler que de Paris Diderot, l’entrée en Master d’études coréennes requiert un niveau linguistique équivalent à celui de fin de Licence. Il sera intéressant de voir pour quels choix opteront les autorités académiques de l’UFHB afin de résoudre l’obstacle linguistique de manière efficace. Peut-on, par exemple, imaginer de voir un jour éclore un enseignement de langue et civilisation coréennes au sein de l’UFR des Langues, Littératures et Civilisations (UFR LLC), à côté de l’allemand, du portugais, de l’anglais, de l’espagnol, et comme première langue d’Asie Orientale ?

Quoi qu’il en soit, les études coréennes s’implantent dans les locaux universitaires avec, outre le bureau des enseignants chercheurs déjà existant (bureau n°23) à l’UFR SEG, dont la permanence est assurée par un assistant, un projet d’installation d’un espace d’études et de documentation dans le même UFR, où le fonds documentaire constitué de plusieurs centaines d’ouvrages, pourra être pleinement utilisé. Notons que le RESCOR, de manière encore symbolique et modeste, a contribué par un don d’ouvrages en langue coréenne et française, à l’enrichissement du catalogue. Rappelons que dans le domaine de la recherche, et hors financement extérieur, l’UFR demeure en pointe grâce au séminaire « Innovation et transformation sociale : étude comparative Afrique subsaharienne – Corée » dont les activités ont commencé depuis en mars 2017. Ainsi se consolide une capacité d’expertise locale sur la Corée du Sud.

Vu de l’extérieur et comme on peut le pressentir, la clé de la pérennisation d’études coréennes à l’UFHB réside d’abord, au niveau local, dans une volonté politique de développer les échanges avec la Corée du Sud – mais celle-ci existe comme l’atteste le soutien durable des doyens de l’UFR SEG qui se sont succédés – , ainsi que dans la coopération internationale dont la collaboration avec l’UPD est une étape susceptible de donner de nombreux fruits. Cette dernière mérite d’être largement soutenue, non seulement par l’engagement et la disponibilité des enseignants chercheurs de LCAO mais aussi, éventuellement, des étudiants de l’UPD (en mobilisant les tuteurs et en proposant, par exemple, un service de correspondants linguistiques), mais aussi par les moyens humains et matériels, même limités, du RESCOR et de l’AFPEC (Association Française pour l’Etude de la Corée). Nul doute que l’engagement, l’inventivité et le dynamisme de l’équipe enseignante de l’UFR SEG, à commencer par les responsables du Master d’études coréennes, les professeurs Kimou et Tito, recevant l’aide précieuse du professeur Hwang Hee-Young, continueront d’être mis à contribution. Pour l’UPD, la prochaine étape est la venue de Mme Kim Jin-Ok pour donner un cours de grammaire du coréen en début 2018.

Puisqu’il s’agit ici d’un retour d’expérience, que l’on permette que mon propos comporte également des éléments subjectifs et individuels. L’expérience abidjanaise a illuminé mon année universitaire 2016-2017. J’ai d’abord été sensible à la qualité de l’accueil des collègues ainsi que du directeur de l’UFR SEG, M. Zié Ballo, que je remercie. Le sérieux et l’engagement des étudiants m’ont également impressionné et j’ai la conviction qu’avec leur motivation et leur capacité de travail, leur avenir professionnel s’annonce sous les meilleurs auspices. Comme première expérience africaine, le séjour a été intense et dépaysant à plus d’un titre, exigeant adaptation pédagogique, en raison des contraintes de temps, et écoute d’un public nouveau pour lequel la formation antérieure et les enjeux professionnels étaient différents de celui que je côtoie ordinairement à l’UPD. Au début, j’ai été quelque peu déstabilisé par le fait que les étudiants portent fréquemment le sac de leur professeur comme signe de respect. Les étudiants parisiens peuvent en prendre de la graine, mais qu’ils se rassurent, je n’attendrai pas d’eux un tel effort une fois de retour à Paris !

Bien que la majeure partie de mon temps ait été dédiée aux cours, ma tropicalisation balbutiante a consisté à découvrir la culture culinaire locale, ce que j’ai fait sans difficulté, appréciant, pendant les pauses de la mi-journée, de recourir à la cantine locale privée des enseignants de l’UFHB pour y déguster poissons, viandes, couscous, pascalis, foutous accompagnés de « sauce graine » ou « sauce feuille » ou gouagouassou, et parfois d’une tonique purée de piments.

Photo 6. Déjeuner au restaurant des enseignants de l’université FHB en compagnie (de gauche à droite) des professeurs Tito, Cho, Hwang et Kimou.

Le professeur Hwang Hee-Young a également grandement contribué à mon initiation en me faisant découvrir de nouvelles saveurs, comme le goût inimitable et exquis du corossol, mais aussi en me partageant de nombreux aspects de sa grande connaissance de la culture et de la société ivoiriennes, ainsi que de l’université d’accueil. Par ailleurs, j’ai pu, grâce à lui, rencontrer de nombreux membres de la petite communauté sud-coréenne locale et accueillante (moins de 200 personnes sur tout le territoire), ou encore visiter certains quartiers d’Abidjan peu fréquentés par les étrangers. Je lui en suis infiniment reconnaissant. C’est également grâce à lui que, peu de temps avant mon départ, j’ai eu la joie de découvrir le Jardin botanique de Cocody, dans l’enceinte de l’université, remarquable par ses trésors de biodiversité.

Photo 7. Le Jardin botanique de l’université FHB à Cocody.

De retour à Paris et en ce début de premier semestre 2017-2018, je remercie le professeur Assi Kimou qui m’honore de son amitié et qui a été la cheville ouvrière de ce projet. Je souhaite également à tous les masteurants en études coréennes de l’université Félix Houphouët Boigny mes vœux les plus sincères de réussite académique et professionnelle. Je leur assure de mon soutien personnel et de celui du RESCOR, et les invite à devenir acteurs du Réseau. Ils représentent, j’en suis persuadé, l’avenir des études coréennes en Côte d’Ivoire et en Afrique francophone. Je formule des vœux pour que les futurs chercheurs acquièrent une visibilité et reconnaissance internationales par leur participation à de grands colloques comme celui de l’Association des Etudes coréennes en Europe (AKSE), dont la prochaine édition est prévue à Rome en 2019.

La collaboration entre l’UFHB et l’UPD en études coréennes, qui ne fait que commencer, représente un beau et promoteur résultat de coopération internationale entre universités francophones en études coréennes. Elle est aussi le fruit du patient travail de construction d’un réseau à l’échelle mondiale entrepris par le RESCOR depuis 2010, jouant ainsi un rôle unique et exemplaire.

Yannick Bruneton
Responsable du Réseau des Études sur la Corée
Professeur des universités à l’Université Paris Diderot

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS