Le jeudi 7 décembre 2017, la section des études coréennes de l’université Bordeaux Montaigne recevait le Professeur Samuel Guex, Maître de conférences et responsable des études coréennes à l’université de Genève, dans le cadre d’une conférence sur l’Histoire de la Corée. L’évènement, s’articulant en une heure d’exposé et vingt minutes de question-réponses, a réuni de nombreux étudiants de la section des études coréennes ainsi que japonaises. C’est devant une salle comble que Samuel Guex a exposé la quête d’unicité dans l’historiographie coréenne en quatre parties :
- Les origines – « Histoire nationale, Histoire nationaliste »
- La quête d’unicité postcoloniale – « Spécificités historiques »
- L’orthodoxie confucianiste – « Caractéristiques (stéréotypes) culturelles »
- Des anecdotes du quotidien mettant en lumière l’unicité coréenne – « Faux amis »
1. Histoire nationale, Histoire nationaliste :
Samuel Guex est, dans un premier temps, revenu sur les origines de l’historiographie coréenne à l’heure de la colonisation japonaise et a mis en lumière les enjeux majeurs de l’Histoire dans le fait politique. L’Histoire nationale coréenne s’est construite en rapport et en opposition à l’Histoire coloniale japonaise, là où cette dernière cherche un ancêtre commun et une rationalisation de la colonisation (mission civilisatrice), la première cherche une identité nationale unique (mythe de Tangun remplaçant celui de Kija), ou des éléments de proto-modernité datant d’avant la colonisation. Sin Chaeho (1880–1936), père de l’historiographie coréenne, utilise déjà les termes Juche et Sadae pour placer et définir la position de la Corée face aux puissants.
Il s’agit alors de présenter les mêmes évènements sous un jour différent : la « Lutte des factions » de Joseon devient « Politique des factions », Shilla unifié devient « État du Nord et du Sud » permettant, par exemple, de réintégrer le royaume de Ballae dans l’histoire nationale. La quête d’unicité vient affirmer et renforcer ce récit national renaissant.
2. Spécificités historiques :
La quête d’unicité constitue une barrière fine entre histoire nationale et histoire nationaliste, naviguant entre présenter un pays comme unique, exceptionnel, possiblement supérieur et reconnaitre les unicités d’un pays en même temps que ses ressemblances.
Samuel Guex illustre également que certaines unicités sont difficilement présentables sous un jour positif avec l’exemple des esclaves sous la dynastie Joseon, rappelant que jusqu’à un tiers de la société de Joseon était constitué d’esclaves, chiffre unique comparé à la Chine ou au Japon.
Les Yangban peuvent, eux aussi, être présentés sous deux jours différents : un progrès social égalitaire basé sur le mérite ou une forme d’aristocratie puisque établie en partie sur l’hérédité. Comme souvent la réalité est une nuance de gris, le système des Yangban n’était basé sur aucun critère légal, un ancêtre ayant réussi les examens du fonctionnariat transmettait son statut à ses enfants avec, toutefois, l’obligation de produire des fonctionnaires régulièrement sous peine de perdre le statut de Yangban.
Enfin, la longévité et stabilité dynastique de la Corée comparée à ses voisins, peuvent s’expliquer en partie par la notion de Sadae. La vassalité de la Corée envers l’empire de Chine a pu lui éviter un certain nombre d’invasions.
3. Caractéristiques (stéréotypes) culturelles :
Cette troisième partie se concentrait sur l’orthodoxie confucianiste de la deuxième partie de l’ére Joseon. Après la prise de pouvoir par les dynasties Mandchou en Chine, une tendance à se considérer comme « les vrai héritiers de la Chine » et le vrai bastion de la civilisation naît dans la classe dirigeante de Joseon. Certains usages, comme la durée du deuil confucianiste, était poussé à l’extrême et appliqués avec plus de rigueur qu’à la cour chinoise.
La transmission des idéogrammes chinois dans le nom de l’enfant connait la même tendance, tradition perdurant encore aujourd’hui. Prenant l’exemple de la famille Samsung, l’intervenant met en lumière l’utilisation des caractères des cinq éléments sur cinq générations.
Enfin, les deux guerres de l’opium renforcent la dynastie Joseon dans son idée d’être le dernier bastion de la civilisation en Asie et sa méfiance envers l’Occident.
4. Les faux amis, fausses ressemblances :
Terminant sur une note plus légère, Samuel Guex a présenté quelques fausses ressemblances entre les cultures coréennes et japonaises ; le futon 布団(ふとん) traditionnel japonais est individuel et plus épais que le lit traditionnel coréen (요 yo ) existant en version deux places.
Le rapport à l’autre et la marque de l’honorifique dans la langue, bien que proche grammaticalement, ont aussi des différences majeures.
Enfin, la compétition permanente dans l’éducation et la pression parentale ont donné naissance à certaines expressions uniques comme 엄친아eomchina /엄친딸eomchinttal « Le fils/la fille de la copine de ma mère », exprimant la constante comparaison dont font l’objet les étudiants coréens depuis leur enfance.
Concluant sur vingt minutes de question-réponses, Samuel Guex a abordé la difficulté d’intégrer la publication d’un ouvrage comme « Au pays du matin calme : Nouvelle histoire de la Corée, des origines à nos jours » (Edition Flammarion – 2016) dit de vulgarisation à une carrière universitaire, ainsi que les divers enjeux et sensibilité de l’écriture des manuels d’Histoire, en Corée comme en France.
Cette conférence s’inscrivait dans une initiative de dynamisation de la section d’étude coréenne de l’université Bordeaux Montaigne (voir conférence « Arts de la Corée à travers l’histoire » par Okyang Chae-Duporge 27 novembre 2017) et constituait un apport culturel nécessaire à l’apprentissage d’une langue aussi bien pour les étudiants de coréen que de japonais.
Thomas Gautier