Compte rendu

Retour de mission à Abidjan 2018

En 2017 a été mis en place un partenariat entre l’Université Paris Diderot et l’Université Félix Houphouët Boigny (UFHB) d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Ce partenariat a commencé avec la création du nouveau Master Études coréennes au sein de l’UFR de Sciences Économiques et de Gestion (UFR SEG) de l’université ivoirienne. À l’origine de ce projet, commencé fin 2016, il y avait les professeurs Assi J.C. Kimou et Nestor T. Tito de l’UFR SEG, et M. Hwang Hee-Young, professeur sud-coréen de sciences économiques qui était sur place depuis 2015 envoyé par Korea Foundation. Ce premier Master Études coréennes en Afrique fonctionne depuis fin 2016 grâce à la subvention d’une durée de 31 mois du « Programme des jeunes pousses » en études coréennes (« Seed Program for Korean Studies ») du KSPS (Korean Studies Promotion Service) de l’Académie des Études Coréennes (Academy of Korean Studies) comme le professeur Yannick Bruneton l’a indiqué dans son compte-rendu précédent.

L’implication de l’Université Paris Diderot dans ce partenariat consiste en la participation de deux enseignants de la section d’études coréennes de l’UFR LCAO (Langues et Civilisations d’Asie Orientale) sur deux ans, pour compléter le programme d’enseignement du nouveau Master Études coréennes de l’université ivoirienne. Après le professeur Yannick Bruneton qui y a donné en 2017 des cours d’« Histoire ancienne et médiévale de la Corée » et d’« Arts et culture de la Corée », je suis partie en 2018 pour assurer trois cours : introduction à la linguistique coréenne (12h), didactique du coréen langue étrangère (12h) et initiation à la littérature coréenne (12h).

Située dans la commune de Cocody à Abidjan nord et fréquentée par environ 50 000 étudiants, l’Université Félix Houphouët Boigny avait un grand campus qui s’étendait sur 200 hectares vallonnés (source : Wikipédia).

Photo 1. Vue du côté de la sortie sud de l’Université Félix Houphouët Boigny.©Kim Jin-Ok

Ma mission s’est déroulée du 16 au 28 avril 2018. Avec 36 heures de cours et les épreuves sur deux semaines, le programme était intense. Avec M. Hwang Hee-Young, nous avons convenu d’un format de quatre jours par semaine avec 6 heures par jour et un jour de pause au milieu.

Les cours ont eu lieu dans des salles de deux bâtiments de l’UFR SEG (Sciences Économiques et de Gestion). La température montait souvent bien au-dessus de 30 degrés ; les salles climatisées étaient plus que bienvenues. Sur quinze étudiants inscrits, quatorze étaient présents et assidus aux cours. Malgré la courte durée d’apprentissage de coréen, certains avaient déjà un bon niveau, ayant bénéficié d’un séjour en Corée. J’ai été également agréablement surprise de leur bonne volonté et de leur spontanéité avec laquelle ils participaient au cours en répondant à mes questions et en en posant à leur tour sans timidité. Les cours se sont déroulés dans une bonne ambiance.

L’un des premiers jours, j’ai déjeuné avec le professeur Assi Kimou que j’avais déjà rencontré lors du premier Atelier du RESCOR à Paris qui avait lieu en septembre 2015. Nous avons échangé des nouvelles. M. Hwang m’a aussi présentée à quelques professeurs de l’UFR SEG et à des administratifs. J’ai fait aussi connaissance avec deux enseignantes de coréen, faisant partie de l’équipe pédagogique du Master Études coréennes, Mme CHO Young Ok et Mme WOO So Yeon. Elles étaient envoyées par KOICA (Korea International Cooperation Agency), organisation gouvernementale sud-coréenne mettant en œuvre des programmes d’aide socio-économique et d’échanges avec des pays en voie de développement.

Photo 2. Dans un des bâtiments de l’UFR SEG, dit « dacanat » (à l’arrière de celui de droite), se trouve, au 2e étage à droite, le bureau du prof. Hwang Hee-Young. Le cours se déroulait principalement dans le bâtiment du fond, en face.©Kim Jin-Ok

Photo 3. Vue du 2e étage du bâtiment où se déroulait le cours. ©Kim Jin-Ok

Photo 4. Espace de verdure dans le campus où les étudiants se reposent entre les cours.©Kim Jin-Ok

Les vingt-quatre heures de cours de linguistique et de didactique des langues étaient pour les étudiants l’occasion de découvrir et de s’initier à des nouvelles disciplines qu’ils ne connaissaient pas ou peu. Dans le cours de littérature, ils ont pu lire pour la première fois des poèmes, modernes et classiques, et de courts extraits de romans coréens en version originale. Ces longues séances de trois heures étaient ponctuées d’écoute de certains poèmes mis en musique et de visionnage de séquences de quelques séries télé historiques, de films adaptés ou illustrant l’époque. Non seulement tout le monde a bien fait le devoir de traduction que j’avais donné pour la séance suivante, mais aussi ils se sont bien débrouillés malgré le niveau relativement élevé du texte.

L’évaluation s’est déroulée sous différentes formes selon le cours : épreuve sur table pour la linguistique, fiche de lecture pour la littérature et simulation d’un cours de coréen d’une demi-heure qui devait être préparé en groupe et dont tous les membres devaient prendre la parole et jouer le rôle d’enseignant. Pour la fiche de lecture, ils devaient choisir un texte parmi une dizaine de romans ou de recueils de nouvelles coréennes traduits en français, que j’ai apportés de Paris avec quelques livres de linguistique, comme un don du RESCOR. Ils ont eu un peu de mal pour la rédaction de la fiche de lecture mais dans l’ensemble, ils se sont appliqués et ont eu des résultats satisfaisants.

Photo 5. À partir de la gauche, Atse, Tchétché, Ariel, moi, Bouaffo, Sede, Manzan, Yedagne, Mahan, Gnagno, Flore, Aloko, Sandra, Konan.©Prof. Hwang Hee-Young

Photo 6. Simulation de cours de coréen comme épreuve du cours de didactique du coréen : groupe de Konan. Les autres étudiants jouent le rôle d’élèves.©Kim Jin-Ok

Photo 7. Simulation de cours de coréen : groupe de Flore.©Kim Jin-Ok

Photo 8. Jour de la dernière épreuve avec tous les étudiants. Je porte un pagne offert par les étudiants. À partir de la gauche, Tchétché, Sede, Yedagne, Sandra, Gnagno, moi, Mahan, Manzan, Flore, Ariel, Atse, Konan.©Kim Jin-Ok

Le dernier jour, nous avons fêté la fin des cours intensifs en dînant ensemble dans le restaurant coréen « Coco Chicken » bien connu des étudiants. Il était fermé pour cession d’activité mais la patronne coréenne l’a rouvert exceptionnellement pour nous.

Le jour de mon départ, j’ai rencontré quelques étudiants qui sont venus à l’université malgré le fait que c’était un samedi. Avec M. Hwang, nous nous sommes entretenus sur leurs mémoires de Master à rédiger et sur leurs projets d’avenir.

Photo 9 : Discussion avec quelques étudiants qui sont venus me voir le jour de mon départ. À partir de la gauche : Konan, Sandra, Bouaffo (debout), Manzan (assis), Sede, Aloko.©Kim Jin-Ok

C’était mon premier voyage en Afrique noire et ce fut un séjour riche d’expériences. Plusieurs personnes m’ont aidée à connaître la ville, la société et la culture : bon connaisseur de la situation économique du pays, M. Hwang m’a expliqué non seulement la situation générale du pays et de l’université mais aussi divers aspects de la culture ivoirienne, de l’histoire du pagne à la cuisine ivoirienne, en passant par des expressions dont beaucoup utilisent le procédé de réduplication ex. « chap-chap » (vite), « yougou-yougou » (articles d’occasion), « ça fait deux jours ! » (ça fait un bail).

M. Hwang m’a fait découvrir des quartiers résidentiels et commerciaux fréquentés par la classe aisée. Beaucoup de commerces (distribution, restauration), m’a expliqué M. Hwang, étaient tenus par des Libanais. J’ai pu également voir des quartiers plus populaires quand j’ai eu quelques occasions de marcher le jour de pause ou en allant à l’université en voiture. J’ai remarqué les embouteillages ainsi que la pollution en ville, due notamment à l’importation de voitures d’occasion. J’ai pu entrevoir aussi la vie des expatriés coréens qui se fréquentent et s’entraident et leurs relations avec des Ivoiriens. La deuxième génération partant étudier ou travailler dans des pays anglophones et francophones, la communauté était très cosmopolite.

Les étudiants, eux, m’ont parlé du système d’entrée à l’université, de la liberté relative de choix de filière qui dépend des notes des élèves, ainsi que de la vie d’étudiant avec ses difficultés, notamment la difficulté d’accès à la documentation. En effet, la bibliothèque de l’UFR SEG était fermée, selon M. Hwang, suite au pillage lors de la guerre civile, ce qui m’a fait beaucoup de peine. Après les études, ils avaient aussi des problèmes de débouchés comme les jeunes en Corée. De plus, lors d’une journée libre, grâce à Konan et à Sede souhaitant se spécialiser en didactique du coréen et en linguistique, qui ont bien voulu être mes guides, j’ai pu voir comment prendre un taxi en pratique : des taxis collectifs qui circulent à l’intérieur d’un secteur, des « wôrô-wôrô » qui sont moins chers que d’autres qui eux sont trans-secteurs. Le tarif se négocie avant de monter, même s’il existe des tarifs communément pratiqués pour les « wôrô-wôrô » selon les distances approximatives.

Photo 10. Sede et Konan qui arrêtent une « wôrô-wôrô ».©Kim Jin-Ok

Lors du déjeuner, ils m’ont expliqué différents types de masques : il existe ceux portés par des chamanes, d’autres portés par des danseurs. Il existe aussi des masques adorés par des tribus qui, eux, sont soigneusement cachés et ne sont jamais vus par le public.

Madame Cho Young Ok, l’une des deux enseignantes de coréen, m’a fait visiter à son tour un marché couvert d’un quartier populaire, Anono, où j’ai vu au bord de la rue non goudronnée d’énormes escargots comestibles vivants chacun de la taille d’une grosse mangue vendus par des enfants.

Photo 11. Escargots géants et mangues à la sortie du marché couvert du quartier Anono à Abidjan.©Kim Jin-Ok

Photo 12. Marché couvert du quartier populaire Anono à Abidjan, Mme Cho de dos.©Kim Jin-Ok

En ce début de l’année 2019 où je rédige ce billet, les étudiants terminent leurs mémoires de Master 2. Je continue à collaborer informellement avec M. Hwang, en étant rapporteur de deux mémoires portant sur la phonologie du coréen et l’analyse contrastive de la phonologie du français et du coréen. J’ai appris à cette occasion qu’en matière de bibliothèque, ils ont, depuis fin 2018, un espace Corée (Korea Corner) offert par la Corée du Sud, qui est maintenant en cours d’installation et de catalogage.

Je me souviendrai des gens qui marchaient sous un soleil de plomb sans chapeau ni ombrelle, des mangues succulentes que m’ont fait goûter pratiquement tous les jours M. Hwang et son épouse que je remercie ici, ainsi que de la simplicité et de la sympathie des étudiants. J’espère voir les premiers diplômés en Master Études coréennes travailler dans un domaine où ils peuvent mettre en pratique ce qu’ils ont appris. J’espère également que la formation en études coréennes continue en Côte d’Ivoire et que la filière s’ouvre aussi dans d’autres pays africains.

Photo 13. Marche sous le soleil.©Kim Jin-Ok

Kim Jin-Ok
Membre du Réseau des Études sur la Corée
Maître de conférences à l’Université Paris Diderot

 

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS