Autour du texte : 허생전(許生傳) : 후지(後識)와 평어(評語)

 

« L’histoire du lettré Hŏ » est sans doute la nouvelle la plus célèbre de Pak Chiwŏn 朴趾源 (1737-1805). Elle figure dans son Journal de voyage à Jehol (Yŏrha ilgi) et est accompagnée de deux postfaces de ce même auteur ainsi que d’un commentaire de son disciple Pak Chega 朴齊家 (1750-1815)¹. Le texte original ne précise cependant pas qu’il s’agit de « postfaces » (huji 後識) et d’un « commentaire » (p’yŏngŏ 評語), termes ajoutés par la postérité, au début du XXe siècle. En outre, ces trois péritextes n’apparaissent pas systématiquement dans toutes les versions manuscrites et imprimées du Journal de voyage à Jehol produites à l’époque du Chosŏn.

 

La première postface se retrouve dans presque tous les exemplaires connus de l’ouvrage. Elle évoque, sans toutefois s’y attarder, l’idée que le mystérieux lettré Hŏ pourrait être un Chinois arrivé en Corée après la chute des Ming en 1644. Mais l’essentiel du texte vise surtout à prolonger un autre sujet qui est développé à la fin de « L’histoire du lettré Hŏ », à savoir les projets coréens d’« expédition punitive » (pukpŏl 北伐 ) contre les Qing et l’incapacité crasse des hauts fonctionnaires à les exécuter dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le propos est illustré par une anecdote, celle de la rencontre entre le gouverneur provincial Cho Kyewŏn 趙啓遠 (1592-1670) et deux moines bouddhistes. L’un ne s’intéresse qu’au succès de sa carrière tandis que les deux autres le blâment pour son inaction face aux Mandchous, nouveaux maîtres de la Chine. Pak Chiwŏn n’a pas choisi son personnage au hasard. Originaire de l’illustre lignée des Cho de Yangju 楊州趙氏, Cho Kyewŏn se fit remarquer en 1636 dans la vaine résistance contre la seconde invasion mandchoue. Après la défaite coréenne, il se rendit même à Shenyang en 1641, en tant que directeur de morale du prince Pongnim 鳳林大君, le futur roi Hyojong (r. 1649-1659), alors retenu en otage. Malgré son ressentiment à l’égard des Mandchous, Cho se rendit en ambassade à Pékin en 1654, reconnaissant par là-même le nouvel empire. Dans les années suivantes, il semble avoir surtout été attiré par l’argent et les nombreux bénéfices inhérents à son statut².

 

La seconde postface est beaucoup plus rare que la première, mais elle nous en apprend bien davantage sur la genèse de « L’histoire du lettré Hŏ »³. Elle relate en effet deux rencontres situées en 1756 et 1773, entre Pak Chiwŏn et Yun Yŏng 尹映, un vieillard adepte de techniques taoïstes qui lui aurait conté ce récit. La postface indique, et c’est peut-être là le point le plus important des trois péritextes, que « L’histoire du lettré Hŏ » et de bien d’autres personnages circulaient oralement au XVIIIe siècle avant d’être mises par écrit. Pak Chiwŏn n’aurait donc fait que coucher par écrit un récit déjà bien connu à l’époque. Il est toutefois possible, comme l’avancent certains chercheurs, que Pak ait forgé de toutes pièces le récit de sa rencontre avec le vieil homme afin de mieux masquer l’origine véritable de « L’histoire du lettré Hŏ ». En effet, la rencontre de 1773 se déroula lors d’un voyage que Pak effectua dans le nord-ouest de la péninsule avec ses deux amis Yi Tŏngmu 李德懋 et Yu Tŭkkong 柳得恭. Or ces derniers ne mentionnent nullement Yun Yŏng dans leurs écrits, et notre auteur précise lui-même que le vieil homme chercha à dissimuler son identité en utilisant un autre nom⁴. 

 

Reste enfin le commentaire court mais élogieux de Pak Chega décrivant « L’histoire du lettré Hŏ » comme un récit surpassant par sa qualité littéraire les grands textes du passé. Pak Chega se devait quelque part de rendre la pareille à Pak Chiwŏn qui avait rédigé un peu plus tôt, en 1778, une préface à son Exposé sur les savoirs du Nord (Pukhak ŭi 北學議), un ouvrage lui aussi resté dans l’Histoire. Mais laissons à présent la parole à Pak Chiwŏn et à son disciple.

 

 

Notes

 

1. Avant d’aller plus loin, voir notre traduction de « L’histoire du lettré Hŏ » ainsi que celle des « Discussions nocturnes à Yuxia », texte qui précède le premier, sur le site du RESCOR.

 

2. Pour quelques développements sur Cho Kyewŏn, sa lignée et ses abus, voir Kang 2017 : 474-485.

 

3. Yi Kawŏn, le père des études sur Pak Chiwŏn, a identifié dans les années 1960 trois exemplaires du Journal de voyage à Jehol portant trace de cette postface. De nouveaux exemplaires du Journal de voyage à Jehol ont été découverts depuis un demi-siècle, mais nous n’avons pas encore effectué de travail de comparaison. Cf. Yi 1980.

 

4. Kang 2017 : 494.

Les postfaces et le commentaire ont été traduits, annotés et présentés par Pierre-Emmanuel Roux.

 

Note relative au texte source L’édition que nous avons utilisée est la suivante :

 

Yǒnam chip 燕巖集 (Œuvres de Yǒnam), par Pak Chiwǒn 朴 趾源, Keijō, [s.n], 1932, 17 kwǒn. [Bibliothèque Nationale de Corée].*

 

C’est cette édition qui est utilisée sur le site de l’Institut de traduction des classiques coréens (http://db.itkc.or.kr/). Nous l’avons complétée avec l’édition bilingue (chinois classique-coréen) établie par Yi Kawǒn 李家源 :

 

Yǒrha ilgi 熱河日記, par Pak Chiwǒn 朴趾源, Séoul, Taeyang sǒjǒk, 1973.

 

(version du 31 août 2020)

KANG Myǒnggwan 강명관, Hǒsaeng ǔi sǒm, Yǒnam ǔi anak’ijǔm 허생의 섬, 연암의 아나키즘, (L’île du lettré Hǒ ou l’anarchisme de Yǒnam Pak Chiwǒn), Séoul, Hyumǒnisǔt’ǔ, 2017.

 

KIM Yǒngdong 金英東, « ‘Okkap yahwa’ ǔi punsǒkchǒk koch’al 「玉匣夜話」의 分析的 考察 (Un examen analytique des « Discussions nocturnes à Yuxia) », Han’guk munhwa yǒn’gu, n° 11, 1988, p. 123-151.

 

LEVY André (trad.), Histoires extraordinaires et récits fantastiques de la Chine ancienne. Chefs-d’œuvre de la nouvelle (Dynastie des Tang. 618-907). II, Paris, Aubier, 1993.

 

PALAIS James B., Confucian Statecraft and Korean Institutions: Yu Hyǒngwǒn and the Late Chosǒn Dynasty, Seattle, University of Washington Press, 1996. 

 

YI Kawǒn 李家源, Yǒnam sosǒl yǒn’gu 燕巖小說研究 (Étude sur les nouvelles de Yǒnam), Séoul, Ǔryu munhwasa, 1980.

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS