Compte rendu de la présentation de Vincent Durand-Dastès (INaLCO)
« Quand les dieux ont le bras long… Les divinités du bouddhisme ésotérique dans la culture chinoise prémoderne », 20 novembre 2014
Colloque international « Pluralité religieuse et culturelle en Asie de l’Est (Chine, Corée, Japon) », organisé par l’équipe ASIEs de l’INaLCO et le Réseau des Études sur la Corée (INaLCO-Paris-Diderot-EHESS), 20-21 novembre 2014
Compte rendu réalisé par Hunhee Cho, Lucie Daeye, Hugo Desmettre, Dilara Kuruoglu, Xiao Wu, étudiants du séminaire de Valérie Gelézeau à l’EHESS
Le 20 novembre 2014 s’ouvrait le colloque « Pluralité religieuse et culturelle en Asie de l’Est » par un premier panel modéré par Nathalie Kouamé (Université Paris-Diderot) et ayant pour thème les « Échanges et circulations au sein de la pluralité ». Esther Maria Guggenmos (Université d’Erlangen Nuremberg) nous a d’abord présenté, de manière enthousiaste, les rituels et leurs différences dans les temples chinois et les nombreuses variations du bouddhisme.
Puis intervient Vincent Durand-Dastès (INaLCO), qui est spécialiste d’histoire de la littérature et des religions chinoises, ainsi que du roman et du théâtre chinois traditionnels. S’appuyant sur son dernier ouvrage, Empreintes du tantrisme en Chine et en Asie orientale : imaginaires, rituels, influences (2012), son intervention foisonnante, très richement illustrée, traite plus particulièrement de la diffusion des images du bouddhisme ésotérique (tantrique) au sein de la culture populaire chinoise. Il s’intéresse ainsi aux divinités d’aspect martial, les Mingwang 明王 (comme Nezha 哪吒, Sun Wukong 孙悟空 et Guanyin 观音) dans les romans de langue vulgaire publiés au cours de la dynastie des Song. Ces divinités, ayant six à huit bras et généralement trois têtes (une humaine au centre et deux autres de formes animales ou démoniaques), possèdent un corps musclé et portent de multiples armes. D’aspect furieux, elles ont aussi la capacité de sauver par le bien et par le mal (« 以善恶化人 ») – comme y insiste V. Durand-Dastès. Démêler ce qui, dans ces figures tantôt archétypales tantôt mythologiques, relève du bouddhisme ou plus largement de la culture populaire au sens séculaire est d’ailleurs une question délicate. Quant au terme Mingwang, il est parfois traduit en langue occidentale par « roi des formules magiques », « celui qui possède la science ou la magie », ou encore « roi furieux des incantations ». A la fois séduisant et démoniaque, le Mingwang fait appel à des prêtres taoïstes et à leurs rituels pour sauver les âmes errantes.
V. Durand-Dastès illustre cette définition par un extrait tiré d’un roman Ming en langue vulgaire où un policier confucéen à la recherche d’un moine démoniaque entre dans un sanctuaire de Kaifeng 开封 et y découvre une représentation de Bouddha qui l’effraie. Cet extrait peut illustrer le choc que pouvaient ressentir les visiteurs chinois dans ces temples lorsqu’ils ne connaissaient pas la théologie présente derrière ces images et sculptures tantriques. L’intervenant précise alors que les représentations tantriques ne sont pas limitées aux divinités masculines. Il prend un second exemple tiré d’un roman où Guanyin 观音 donne à la princesse du pays des femmes la possibilité de se transformer en divinité tantrique – elle possède alors trois têtes et six bras, un visage couleur sang et porte un gourdin.
V. Durand-Dastès termine sa présentation en présentant de nombreuses peintures taoïstes du XVIIe siècle en Chine, dans lesquelles on retrouve aussi ces héros tantriques et leur représentation martiale. Il conclut en réaffirmant l’impact fort qu’ont pu avoir ces représentations de divinités indiennes sous forme de héros martiaux dans les romans de langue vulgaire et dans les peintures et romans taoïstes, ce qui a permis de diffuser les enseignements bouddhistes dans toutes les sphères de la société chinoise, de la cour à la culture populaire. Il précise qu’il est probable que l’on retrouve le même genre de phénomène en Corée et au Japon.
Dans la discussion qui suit, Matthias Hayek (Université Paris-Diderot) compare les textes analysés avec des romans japonais du XIXe siècle et souligne les points communs entre la Chine et le Japon. La discussion se clôt par la question du rapport entre taoïsme et bouddhisme et de l’efficacité des rituels.