Vendredi 28 novembre 2014, dans le cadre du séminaire pluridisciplinaire du Centre de Recherches sur la Corée (CRC), Kim Yeran (Université Kwangwoon, Séoul, Chercheuse accueillie au CRC) a présenté ses dernières recherches sur la société digitale en Corée du Sud dans une communication intitulée “Digital Creative Labour in Neoliberal Governmentality of Selfhood in South Korea”.
Titulaire d’un Ph.D. en Médias et communication du Goldsmiths College de l’université de Londres, Kim Yeran étudie les dimensions multiculturelles de cette nouvelle société numérique qui essaye de s’adapter tant bien que mal aux réalités du marché de l’emploi. Divisant sa présentation en deux parties correspondant chacune aux enquêtes de terrain effectuées en Corée (“Digital Creative Labour”, 2013) et en Grande-Bretagne (“Art as Creative Labour”, 2014), Kim Yeran évoque dans un premier temps une situation socio-économique paradoxale en Corée du Sud : le taux important de chômage s’élevant à 40% pour les jeunes adultes de 20 à 29 ans, pourtant éduqués à l’université, au fait des nouvelles technologies et évoluant dans une société aisée. Ces personnes se définissent comme étant « en trop » 잉여 yingyǒ, « inutiles », car sans emploi et en marge de la société.
Kim Yeran reprend le terme « Outernet » (Tiziana Terranova, Network Culture: Politics for the Information Age. London: Pluto Press, 2004) pour montrer comment Internet, à l’origine un réseau social, revêt une nouvelle dimension culturelle, économique et politique, dépassant son cadre initial. En quête de visibilité et de reconnaissance, ces jeunes se tournent vers Internet pour se promouvoir à travers des blogs personnels (« self-branding »), parfois à visée commerciale (boutiques ou revues en ligne) et initier des partenariats avec des marques ou des sociétés (Puma, Samsung), ce que Kim Yeran appelle le “Digital Creative Labour”. Un blogueur fait le plus souvent la promotion de marques sans être rémunéré par celles-ci, mais il reçoit en échange un coupon d’achat de vêtements de la marque (“Commodification of Labour”). Il espère ainsi étendre son réseau de contacts professionnels (Becoming a Human Capital: Career building”). Le “Digital Creative Labour” représente une nouvelle forme de travail et d’existence qui souligne néanmoins l’ambivalence de la situation où liberté/subordination, création/contrôle et flexibilité/précarité s’entremêlent pour ce nouvel homo economicus.
Dans une seconde partie plus succincte car en cours de recherche, intitulée “Art as Creative Labour”, Kim Yeran évoque la question de la migration culturelle d’artistes contemporains coréens en Europe, notamment à Londres. Elle présente les créations artistiques d’une partie de la vingtaine d’artistes qu’elle étudie.
Dans la discussion générale qui clôt la présentation, Valérie Gelézeau (EHESS) demande si le “Digital Creative Labour” est une nouvelle manière de considérer la fracture sociale pour ces jeunes issus de milieux aisés. Est-ce que Mme. Kim collabore avec le professeur de sociologie, Kim Hong-Jung, qui travaille sur le néolibéralisme coréen et la sociologie des émotions dans la culture et les arts à l’université nationale de Séoul ? La discussion a aussi porté sur le rôle des femmes coréennes plus âgées, le plus souvent des femmes au foyer qui ont un blog (Chloé Paberz, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, UMR 7186) et qui participent aussi de ce phénomène. Selon Kim Yeran, les enjeux et les motivations sont cependant différents car ces femmes sont dans une autre configuration socio-économique (elles ne sont en général pas à la recherche d’un emploi) ; elles ont des goûts culturels et un style de vie différents.
Ariane Perrin
Pour le Réseau des études sur la Corée