Compte rendu

Compte rendu : « Habiter les utopies urbaines du XXIe siècle : deux méga-projets urbains euro-asiatiques en construction à Songdo (Corée du Sud) et Astana (Kazakhstan) »

 

 

« Habiter les utopies urbaines du XXIe siècle : deux méga-projets urbains euro-asiatiques en construction à Songdo (Corée du Sud) et Astana (Kazakhstan) », une conférence à deux voix du 25e FIG (Festival International de Géographie)

 

Par Valérie Gelézeau

 Maîtresse de conférences HDR à l’EHESS

Présentée avec Bernard Köppen (CESPS : Centre d’étude des populations, de la pauvreté et des politiques sociales) le 3 octobre 2014, cette conférence à deux voix proposait de comparer deux méga-projets de développement en construction en Asie : Songdo, nouvelle ville de la région de Séoul en Corée du Sud et Astana, capitale du Kazakhstan depuis 1987 (voir diapositive jointe). Comment naissent ces méga-projets urbains qui se multiplient en Asie ? Quel est leur rôle dans la construction des capitales d’Asie ? Inversement, quelle place occupe la référence aux grandes capitales du monde occidental dans ces méga-projets d’urbanisme ? En quoi sont-ils des formes d’utopie urbaine et quels en sont les modèles ? Enfin et surtout quelles sont les tensions entre un projet fonctionnel et de représentation (capitale) et, d’autre part, l’habitat et les infrastructures des nouveaux citadins ? Au fond, comment habite-t-on ces utopies urbaines en train de naître ? Telles sont les questions que nous avons tenté de discuter, de manière systématiquement comparative.  

La nouvelle ville de Songdo (Songdo kukche tosi) que j’analyse (deux terrains effectués en mars et août 2014) prend forme près de Séoul, entre et terre et mer, sur une zone de polders récemment gagnée de la baie du Kyŏnggi autour d’un centre d’affaires international. Promouvant un centre d’affaires international, ce méga-projet urbain censé accueillir à terme (2020) environ 200 000 habitants participe d’une stratégie nationale et internationale du gouvernement sud-coréen qui ambitionne de maintenir Séoul dans  le réseau des villes mondiales, voire d’y accroître son poids. Il s’inscrit dans la politique d’ouverture aux investissements étrangers qui a suivi la crise asiatique (1998) et a conduit la Corée du Sud à développer plusieurs zones franches (2003). Songdo est ainsi un des pôles de la zone franche internationale d’Incheon– le grand port de Séoul.

On retrouve à Astana, qu’étudie Bernard Köppen, une problématique liée à la capitalité : en effet, le transfert de la capitale kazakhe d’Almaty à Astana (Aqmola) en 1997 est inséparablement lié au lancement de ce projet d’urbanisme à grande échelle. À la différence d’autres exemples connus, comme ceux de Brasilia au Brésil, Canberra en Australie ou le rétablissement de Berlin comme capitale de l’Allemagne, la définition d’un plan de développement urbain visionnaire dans une logique de durabilité véritable confère à Astana une singularité propre : en témoigne l’approche prestigieuse fondée sur le paradigme de la ville « métabolique » (adaptable et évolutive) élaborée au départ par l’architecte de renom Kishio Kurokawa († 2007).

Moins singulière qu’utopie moderne, Songdo apparaît de son côté comme la ville emblématique du XXIe siècle : telle qu’elle est présentée par le consortium américano-sud-coréen chargé de son développement, et comme en témoigne la collection de termes qui la qualifient dans les projets, la ville allie la technologie de la ville digitale (« U-City » et « Smart City ») et l’idéologie du développement durable (« Green City ») – à cet égard, elle n’est pas sans rappeler d’autres projets à l’œuvre en Asie comme la Biopolis de Singapour.

À Astana, il est devenu rapidement évident que le paradigme d’une ville « métabolique » imaginée par Kishio Kurokawa au service des citadins allait mal s’accorder avec d’autres stratégies d’aménagement et de positionnement de la nouvelle capitale. L’analyse attentive par Bernard Köppen des mesures de planification réalisées démontre, que – malgré le choix de construire une ville durable et adaptable – la priorité a été presque uniquement donnée aux projets « classiques » faisant référence à l’aspect fonctionnel de la capitale, notamment pour les structures symboliques et monumentales. Par contre l’aspect habitat et infrastructure pour la « vie quotidienne » des citadins, qui avait une position privilégiée dans les plans aménageurs – s’est retrouvée finalement négligée durant la phase de réalisation des projets urbains.

A Songdo, plus de 70 000 habitants habitent déjà aujourd’hui la ville, entre zones à bâtir et terrains vagues, gratte-ciels géants rutilants et nouveaux espaces publics où le collage des références est explicite (« Central Park », projet de tours jumelles, canaux « vénitiens » et nouveau centre de congrès rappelant dans son architecture l’opéra de Sydney).

En confrontant les plans originaux et le discours des utopies à leur mise en œuvre concrète et aux pratiques d’habiter effectivement à l’œuvre dans ces deux villes, les deux intervenants ont d’une part soulevé la question de la grande banalité, finalement, des utopies urbaines dont Songdo et Astana sont représentatives et d’autre part, la question de l’existence de l’urbanisme pluriel qui s’invente explicitement (urbanisme « euro-asiatique » d’Astana) ou implicitement (collage post-moderne des références à Songdo) dans ces méga-projets d’Asie. Très animé par de nombreuses questions sur les deux cas, le débat avec la salle a fait ressortir les tensions entre un développement urbain déterminé par des fonctions de représentation (capitalité, compétition des villes mondiales) et les nécessités de construire un environnement et des infrastructures habitables au quotidien.

 

Vous pouvez télécharger ici la diapositive de présentation.

 

 

 

 

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS