Atelier de traduction : 『朝鮮社會經濟史』「第一章 朝鮮經濟史方法論」

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Histoire socio-économique de la Corée, "Chapitre premier: De la méthode en histoire économique de la Corée"

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1°) Discours sur la méthodologie de la recherche en histoire de la Corée :

       C'est véritablement la mission de l'historien que d'étudier l'histoire économique de la Corée, en examinant et théorisant les orientations pratiques dans les processus évolutifs des développements sociaux et historiques à l'œuvre dans le passé. Or, cela n'est possible qu'en analysant concrètement puis en abstrayant les lois générales des changements historiques dans les relations de classes et le système social de la vie de ce peuple, et ce par la dialectique historique comme principe des mouvements généraux des sociétés humaines. Elle ouvrirait ainsi la voie à de nouvelles perspectives sur la société mondiale, tout en nous permettant d'acquérir une compréhension fondamentale de ce qu'est le processus de diffusion et de développement du capitalisme contemporain à l'échelle de l'histoire mondiale, en tant que division de l'histoire du genre humain.

               Mais qu'en est-il de l'histoire de la Corée jusqu'à présent? Si l'on en considère d'abord la teneur, elle abonde d'histoires-batailles; ou bien d'histoires des transformations d'une dynastie donnée autour de laquelle on dresse un inventaire des définitions externes et des vicissitudes du pouvoir politique; ou encore de ce que l'on appelle les annales des faits et gestes des souverains et ministres, relatives au comportement des princes et monarques ou des agissements de leurs sujets; de journaux sur le despotisme gouvernemental à partir des promulgations ou abrogations de décrets, des qualités et défauts des souverains, des louanges ou dénigrements émis par leurs sujets, etc. Si l'on en considère en outre la présentation compilatoire, il s'agit d'histoires catégorisantes sous forme de chroniques, dans la droite ligne des compendiums chinois. Si l'on s'interroge en outre sur l'attitude et les principes observés par leurs rédacteurs, on voit que ces histoires sont sous l'emprise de l'orthodoxie. Après nous être interrogé sur les raisons profondes qui ont engendré ces caractéristiques, nous en avons dégagé deux principales. La première est que ces histoires font complètement abstraction du processus de développement de la vie du peuple ou des formations sociales, qui doivent nécessairement constituer l'axe central de l'Histoire. La seconde est que, du fait qu'elles se cantonnent à une simple juxtaposition (Nebeneinander) d'évènements historiques, les principes de succession des changements historiques leur échappent. Mais si l'on met de côté le devoir des historiographes ou des spécialistes de l'histoire nationale en tant que membres d'une classe, ce sont là des erreurs inévitables à l'aune du niveau général, inconsciemment préétabli, des connaissances historiques de l'époque, aussi faut-il plutôt pardonner ces défauts, car ces annales historiques sont autant de présents inestimables pour les études suivantes. Nous avons pu, en utilisant ces histoires classiques de façon critique, collecter et analyser, au plus haut niveau de l'historiographie moderne, chaque document et chaque fragment disparu ou ignoré, et mener à bien notre mission visant à établir une historiographie unifiée du développement de la vie du peuple. Il ne s'agit pas simplement d'une critique personnelle du passé, mais aussi d'une perspective sur notre propre avenir. c'est là que réside la portée pratique de l'histoire et que doivent en être établies les orientations générales.

               Combien de contributions ont donc apporté à l'historiographie coréenne nos récents prédécesseurs? Ils se livrent corps et âme à l'érudition documentaire ou encore à l'exploration de vestiges anciens et au collectage de reliques. Ce sont évidemment là des travaux nécessaires, mais d'un autre côté, ce sont aussi nos aînés qui ont introduit depuis Japon ce produit d'import qu'est "la vision particulariste de l'Histoire", une empreinte nouvelle mais malheureuse sur le champ de notre historiographie. L'idéologie de leur école historiographique, la vision particulariste de l'histoire, est en fait le produit des mouvements populaires du nouveau capitalisme allemand en opposition à l'Angleterre, qui, parce que servant la situation intérieure d'un Japon nouvellement capitaliste, a été largement importé dans ce dernier pays et y a ainsi pris un formidable essor, jusque dans les milieux historiographiques. En revanche, la prompte importation de nos aînés a rapidement perdu son assise en raison des bouleversements internes du pays et a été délaissée sur le plan politique, sous sa forme d'étudiants itinérants et collecteurs d'antiquités[1] (Fahrende Shüler[2]), mais sur le plan conceptuel tout du moins, le dessein de particulariser l'histoire culturelle coréenne en un microcosme (mikrokosmus) propre s'est enraciné plutôt profondément dans les habitudes. Outre cela, un autre type de particularisme, en apparence différent du premier et de fabrication étatique a été établi et diffusé séparément. Il s'agit de l'idéologie des dignitaires gouvernementaux, dite des  "circonstances particulières de la Corée". Si l'on recherche la différence entre ces deux types de particularismes, on pourrait avancer le fait que, tandis que le premier est mystérieux et sentimental, le second est monopolistique et politique, mais en substance, ils convergent dans leur négation de la similarité des principes historiques du développement des sociétés humaines, et sont par conséquent réactionnaires. Ces deux types de particularismes (en réalité similaires) sont à proscrire vigoureusement dans l'intérêt de l'ouverture du champ de l'histoire de la Corée.

        De plus, sur le plan théorique, le discours sur l'environnement naturel en géographie humaine, le discours sur les particularismes culturels en étude des races, ou encore le discours rickertien sur les valeurs propres à chaque culture, sont autant de théories dérivées de la vision particulariste de l'Histoire, et sont appréciées comme le plus fin des produits d'import par les partisans d'une histoire culturelle particulariste de la Corée. Elles n'ont toutefois aucune valeur substantielle pour la science historiographique.

               "Le prélude à toute histoire humaine est bien évidemment la présence d'individus en tant qu'êtres dotés de vies. La première activité historique qui a permis à ces individus de se distinguer des animaux n'est pas le fait de penser, mais plutôt de commencer à produire les moyens de leur propre existence. Ainsi le premier fait que l'on puisse avérer est l'organisation physique de ces individus, et leur rapport à la nature environnante comme condition à cette organisation. [...] La présence de ces individus se manifeste dans la façon qu'ils ont d'exprimer leur existence. Ainsi, ce qu'ils sont correspond à la façon (weise) dont ils produisent, ou, autrement dit, dépend de ce qu'ils produisent et de comment ils le produisent. Ce que sont les individus se rapporte donc aux conditions substantielles de leur production. On voit ainsi que certains individus, engagés dans une activité productive d'une certaine façon, tissent en fonction de rapports de production déterminés des relations sociopolitiques déterminées."[3] Autrement dit, "l'existence des individus est leur processus de vie matérielle." Cependant, les Hommes ne vivent pas seulement de façon passive et émotionnelle. "Les Hommes ne se contentent pas, pour produire, d'interagir avec la nature. Ils ne le peuvent qu'en collaborant les uns avec les autres selon des modalités prédéfinies et en échangeant leur activité, aussi est-ce dans le but de produire qu'ils tissent certains contacts et relations, et ce n'est qu'à travers leurs contacts et relations sociales que leur rapport à la nature s'établit et que la production s'opère. [...] Les relations sociales dans le cadre desquelles produit chaque individu, autrement dit les rapports sociaux de production, évoluent avec les changements et le développement des moyens substantiels de production, et donc de la productivité. La somme de ces rapports de production forment ce que l'on appelle relations sociales, ou encore société, et constituent en outre une société à une étape donnée du développement historique, c'est-à-dire une société qui en possède les propriétés spécifiques. La société antique, la société féodale, la société bourgeoise, etc., sont toutes la somme des rapports de production, et expriment toutes simultanément une certaine étape fixe du développement de l'histoire de l'humanité."[4] Autrement dit, le seul particularisme qui intéresse la science historiographique est celui de l'étape du développement historique atteint par la société, qui établit une certaine séquence (Nacheinander), un particularisme qui n'est pas chimérique mais bien réel, et ce grâce au potentiel même de développement.[5] Quand bien même reconnaîtrions-nous dans tout le processus de développement de notre pays quelques différences dans les conditions géographiques, la physionomie au point de vue ethnologique, les caractéristiques culturelles apparentes, etc., sa soi-disant particularité, basée sur son aspect extérieur, n'est pas quelque chose de spécifique qui permette de le distinguer, du point de vue des principes du développement historique, des autres peuples et cultures, dont la Corée a suivi une trajectoire de développement quasi-analogue. Le tempo lent de ce processus ou les nuances spécifiques de l'aspect culturel ne sont en aucun cas des particularités substantielles. "Un noir est un noir. Ce n'est que dans certaines circonstances qu'il commence à devenir esclave". Autrement dit, pour toute asiatique que soit la trajectoire de développement historique du peuple coréen, les principes sous-jacents du développement interne de la société sont pour leur part ceux de l'histoire mondiale, et la société esclavagiste de l'époque des Trois Royaumes, la société féodale à l'asiatique après l'unification du pays par le Silla, la société du capitalisme importé, sont des caractéristiques (!) de l'histoire universelle représentant toutes les étapes de développement enregistrées par l'histoire coréenne jusqu'à nos jours, et chacune de ces étapes possède ses propres principes. Il devient ainsi possible pour la recherche en histoire de la Corée de dégager ces principes, et ce n'est que dans le cadre de règles méthodologiques applicables à l'histoire mondiale que l'on trouvera une résolution active pour mettre un terme au particularisme péremptoire actuel, tout en parvenant à une compréhension de l'histoire interne du développement de l'existence des peuples du passé.

 

2°) Méthode et objectif pour l'étude de l'histoire économique de la Corée:

       Le peuple coréen n'est pas l'enfant d'une tradition particulière, mais un ensemble d'humains ordinaires et normaux, tels que façonnés par l'évolution biologique. Leur histoire, qui permet de les distinguer des animaux, a débuté avec la production de leurs moyens de subsistance, conditionnée par leur organisation physique. En ce sens l'histoire économique est l'histoire de l'apparition du peuple coréen. En outre, le contenu concret de cette production nous en dit long sur les relations formatives entre ceux en charge du travail et les moyens de production, et c'est sur cette formation que repose la société; l'histoire politique ou l'histoire culturelle coréennes se développent par rapport à cette structure dans son processus de formation, de progression et de changement. L'histoire économique de la Corée, qui se doit d'étudier dans la relation mutuelle qu'entretiennent ses expressions politique et conceptuelle le processus d'évolution historique de l'organisation économique qui se trouve à la base même de la formation sociale, est en ce sens l'histoire fondamentale du développement du peuple coréen. On serait tenté de n'en faire qu'une simple chronique historique de l'habillement ou de l'habitation, de l'agriculture, de l'artisanat, du négoce, des transports, des marchés, de la monnaie, des taxes et impôts, des contrats, des trésors, etc. Cependant, s'il est vrai que ce sont là autant de matériaux essentiels à son étude, ils ne sont pas encore histoire économique en tant que théorie historiographique. L'énumération descriptive des évènements économiques extérieurs en question, des systèmes et des formes économiques tomberait non seulement dans le mécanisme, mais ne saurait de surcroît expliquer les rapports de bascule entre la productivité et les modalités de production, élément décisif du développement historique du peuple coréen. Ce que nous entendons par histoire économique de la Corée est le fait de démontrer scientifiquement le caractère invariable et inévitable de la succession progressive des liens internes ainsi que des développements de contradictions latentes dans l'organisation économique, puis des rapports de production qui en découlent à chaque époque, définissant l'existence sociale du peuple coréen. On peut dire de façon plus concrète que les quatre formations sociales que sont la société communiste et clanique primitive, qu'il convient de considérer comme le point de départ du peuple coréen, l'économie esclavagiste de l'époque des Trois Royaumes (Koguryŏ, Paekche et Silla), le système féodal à l'asiatique en vigueur du Silla unifié jusqu'à récemment, et le système de production mercantile actuel, constituent l'objet de notre étude. Mettre concrètement en évidence le processus de développement des formes historiques de la production, du basculement d'une société préhistorique sans classes à une société de classes, ou au niveau interne, du passage d'un modèle de vie communautaire basé sur les liens du sang à un modèle absorbant la production et la valeur excédentaires[6], voilà quelle doit être la mission de l'histoire économique de la Corée. Il serait vain, pour ce faire, de se cantonner au collectage des matériaux économiques, aussi devons-nous impérativement nous appuyer sur une méthodologie en adéquation avec ces principes. De façon générale, ces matériaux doivent être analysés, critiqués et interprétés en suivant la chronologie du développement historique des rapports formatifs internes dans le passé entre ceux en charge du travail et les moyens de production, un peu comme si tous les secrets de la société et des citoyens modernes se trouvaient révélés à travers l'analyse de leurs marchandises. Il est, pour ce faire, nécessaire d'avoir recours à un éminent rebut (!) que les chercheurs tant coréens qu'étrangers ont, inconsciemment ou non, complètement négligé. Nous voulons dire qu'il est possible d'évoquer l'aspect de la société de production communautaire et clanique antérieure au temps historique en analysant les termes fossilisés du système familial, et de comprendre en substance l'économie esclavagiste et de dresser un panorama historique de la civilisation des trois royaumes en examinant le système juridique de l'esclavage. On peut de même acquérir une vision globale des caractéristiques et de tout le processus de développement et d'effondrement de l'économie féodale à l'asiatique en vigueur du Silla Unifié à la fin de la dynastie des Yi, en passant par le Koryŏ, en observant les rapports de travail des paysans[7] et des esclaves en tant que serfs. Toutefois, les matériaux relatifs à l'histoire économique de la Corée, bien qu'abondants, présentent soit le problème d'exister à l'état de fragments, soit d'avoir été victimes des vers, soit encore d'être conservés dans les dépôts gouvernementaux, où il ne faut pas compter son temps et sa peine pour les répertorier, les rassembler et les organiser. Mais en aval de cela, il est encore plus important de faire raconter le passé à ces documents en les considérant sous un aspect scientifique unique, aussi est-ce notre mission d'historien de l'économie de la Corée que de définir en conséquence les principes historiques du développement économique de la Corée.

 

3°) Point de départ de l'histoire économique coréenne:

  La Corée est aujourd'hui partie intégrante du capitalisme mondial, en dépit des intentions de nos historiens de la culture particularistes. L'étape antérieure fut le lent processus de développement de la société féodale asiatique, et à l'étape précédant celle-ci nous observons une forme étatique de classes propriétaires d'esclaves. Mais cela ne s'arrête pas là. Il est possible de retrouver la trace des communautés de production primitives en conduisant une investigation minutieuse des bribes esquissant l'aspect de la société primitive, des vestiges exhumés et de la langue première que l'on peut entr'apercevoir dans les documents anciens. Cette société communiste primitive était la seule forme sociale, sur le plan économique, historique et spirituel, à pouvoir garantir à nos ancêtres de produire en commun, mais a finalement décliné en ouvrant la voie à une société des classes à mesure que sa productivité substantielle s'accroissait et qu'un embryon de système basé sur la propriété prenait forme. C'est cette société communiste primitive qui constitue le point de départ à étudier de l'histoire économique de la Corée. En d'autres termes, et cela peut être démontré de diverses façons, la forme de cette société n'est évidemment pas typiquement coréenne. Bien que son origine se perde dans la nuit des temps, elle a lentement évolué d'elle-même en même temps que s'accroissait sa productivité, et les traits de ces communautés connurent de profonds changements entre son âge d'or et sa basse période. Il est par ailleurs aisé de déduire l'aspect des communautés de production agricole, qui ont aujourd'hui quasiment disparues, à partir de leurs vestiges, comme si l'on pouvait d'un seul fragment entrevoir l'ensemble. Nous pourrons ainsi décrire le visage des communautés de production claniques dans la Corée primitive grâce aux mythes, aux légendes, aux documents anciens ou encore aux objets exhumés des monuments funéraires.

 

[1] 骨董品蒐集の遍歴学徒

[2] Sic.

[3] Die Deutsche Ideologie, traduit de l'allemand en japonais par Kawakami Hajime 河上肇, Morito Tatsuo 森戸辰男et Kushida Minzô 櫛田民藏 (ndla).

[4] Marx, travail salarié et capital, traduit de l'allemand en japonais par Kawakami Hajime河上肇, p53 (ndla).

[5] Hani Gorô, op. cit., p129 (ndla).

[6] 餘剰生産物乃至は餘剰價値の吸引様式

[7] Paek Nam-Un emploie le terme de chŏnmin, 佃民, qui ne semble pas être un terme historique, mais plutôt un mélange de chŏnmin, 田民 et de chŏngaek, 佃客. Nous l'avons rendu par le terme générique et vague de "paysan" (ndtr). 

 

 
 

Autour du texte:

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS