Dans le cadre du séminaire « Villes et urbanisation en Asie orientale et septentrionale » (V. Gelézeau et F. Ged)
Benjamin JOINAU
professeur de Hong-ik University (Séoul), invité de l’EHESS
donnera une conférence intitulée
« Topo-politique de Pyongyang : Régimes de visibilité, séparation spectaculaire et lieux de repli dans la capitale nord-coréenne »
le 26 novembre 2020 de 11h à 13h
En ligne sur BBB : https://webinaire.ehess.fr/b/gel-knd-7dk
Cette conférence entend reprendre et développer les éléments de recherche sur l’espace public urbain nord-coréen exposés dans de précédents articles publiés. Partant d’une analyse sémiologique de l’espace monumental de Pyongyang, « La Flèche et le Soleil. Topomythanalyse de Pyongyang » (Croisements, 2012) s’est attaché à mettre en lumière le récit mythique inscrit dans le plan urbain de la capitale nord-coréenne. Le texte « Régimes de visibilité. Pour une topo-politique de la distance » (Sǒrabǒl. Des capitales de la Corée, dir. V. Gelézeau, 2019) proposait une sémanalyse des différents types d’espaces publics de Pyongyang replacés dans leur contexte de réception par les différents publics ou « destinataires » de ce message urbanistico-idéologique. Dans presque tout l’ensemble de son espace public, la capitale nord-coréenne semble avoir été pensée comme spectacle. Le rapport entre démonstration du pouvoir et production de l’espace a été bien analysé depuis longtemps dans d’autres contextes (Lefebvre, 1974 ; Duncan, 2004 ; Fauve et Gintrac, 2009). Il a aussi déjà été beaucoup écrit sur le fait que Pyongyang a été conçu pour offrir une scène au régime des Kim (voir en particulier Kim, Suk-Young, 2007 et 2010). Cependant la spectacularité de cette capitale a été en général abordée comme catégorie d’une théâtralité et d’une représentation où le divertissement rencontre l’esthétique et la ville au service du politique. Au-delà des seules « cérémonies » officielles proprement dites et de leurs grands défilés « spectaculaires » qui définissent la performativité du pouvoir dans la ville, notre approche cherche à poser la question des effets du message urbanistique physique sur les représentations et les pratiques. La problématique de la « séparation spectaculaire » (Debord, 1971, § 167) interroge le contexte dans lequel la monumentalisation, la création de hauts lieux et la planification urbaine des espaces publics, éléments tous nécessaires à la ville, passent d’une mise en spectacle comme création de lien social (les lieux patrimonialisés sont des « shifters » – Certeau, Giard, Mayol, 1994 [1980] –, des échangeurs de mémoire et d’expérience) à une spectacularisation aliénante imposant sa mythologie dogmatique comme seul récit possible de la ville et du politique. On suggère donc d’observer comment la distance physique du citoyen à la ville peut être transformée en distance intérieure entre les citoyens comme outil de régulation. Ces éléments de réflexion posés, il est alors intéressant dans un troisième temps de revenir aux pratiques réelles des citoyens et visiteurs de Pyongyang, pour se poser la question de l’appropriation (Certeau, Giard, Mayol, ibid.) ou mise en quartier de la ville et ce qu’il en reste dans ce contexte de forte distanciation spectaculaire. On essayera alors de replacer dans ce cadre idéologique idéal la diversité des pratiques de l’espace public de la capitale par ses usagers et les « lieux de repli » qu’ils se ménagent : des sites alternatifs non idéologiques (brasserie, bowling) recherchés par les visiteurs occidentaux aux parcs publics et aux espaces communs entre complexes d’appartements fréquentés quotidiennement par les citoyens. Ces réflexions nous amèneront à dépasser le cadre nord-coréen, pour tenter une typologie des formes urbaines en relation avec les régimes de visibilité produits et selon les contextes socio-politiques. Pour plus d’informations, voir le carnet du CRC.