« Méta-culture/méta-nation coréenne. En finir de manière indisciplinée avec les interfaces »
Par Valérie Gelézeau (EHESS)
Ce billet donne un résumé de la communication présentée lors de l’atelier conjoint du 6 février 2015 : ‘Une « post-division » coréenne ? Regards croisés franco/sud-coréens sur la péninsule divisée’ (http://parisconsortium.hypotheses.org/6551).
Ce titre un peu impertinent permet d’introduire le projet collectif du Centre Corée (« Les interfaces Nord/Sud dans la péninsule coréenne »), suivi sur 10 ans et marqué par quelques jalons et productions collectives : d’abord un projet ANR, qui s’est clôturé par un colloque (2008), ensuite, un article écrit à 16 mains (réellement à 8 personnes !) paru dans la revue EspacesTemps.net en 2010 (http://www.espacestemps.net/articles/interfaces-et-reconfigurations-de-la-question-nordsud-en-coree/); enfin un livre collectif co-édité avec Koen de Ceuster et Alain Delissen De-bordering Korea. Tangible and Intangible Legacies of the Sunshine Policy (2013 Routledge). Ce projet, qui a réuni 10 personnes, dans 6 disciplines a d’abord été structuré par la transversalité : il ne s’est pas simplement agi de juxtaposer les cas d’études abordant les interfaces entendues comme tous les types de contacts pouvant exister les deux Corée. Trois grands types d’interfaces ont rapidement été identifiées : spatiales (les frontières et les hauts-lieux Kaesŏng, Kŭmgang), sociales (des groupes comme personnes venant du Nord habitant au Sud – au sens très large, migration récente ou plus anciennes) et enfin les interfaces symbolique (essentiellement les discours de l’une Corée sur l’autre).
Mais surtout, le projet a utilisé l’interface comme méthode de réflexion, en travaillant ce concept venu de de la biologie et des sciences informatiques et qui désigne un élément de liaison entre deux systèmes qui, sans cela, ne pourrait pas communiquer, plutôt qu’une notion comme celle de « frontière » déjà largement travaillée par les sciences sociales.
Or c’est justement grâce à cette indiscipline de l’approche par les interfaces, que mon approche géographique de la frontière a pu évoluer. Je conçois aujourd’hui la frontière coréenne comme une frontière épaisse (loin de se limiter à un simple trait sur une carte, elle crée de multiples frontières sociales, anthropologiques, culturelles à tous les niveaux des deux sociétés concernées dans les deux Corées), et en construction permanente, comme une zone de tectonique de plaques géopolitiques. Cette frontière est d’ailleurs un bon exemple d’une « méta-frontière » (Michel Foucher), c’est-à-dire une frontière qui dépasse temporellement et spatialement le territoire dans lequel elle s’inscrit au départ : elle s’exporte globalement dans le monde de la diaspora coréenne à la Corée. Méta-frontière connectée à une « méta-culture », cette frontière permet de reconsidérer la question nationale en Corée : n’est-on pas confronté à une nouvelle géométrie de la nation et ne faut-il pas, finalement, parler de « méta-nation » coréenne ?