Suzanne Peyrard, « Pérégrination d’une doctorante à l’AKSE, Rome 2019 »

Suzanne Peyrard, « Pérégrination d’une doctorante à l’AKSE, Rome 2019 »

Avant cette expérience de présentation à l’AKSE (Association for Korean Studies in Europe), je me sentais peu légitime de proposer une communication pour une conférence. Étant au début de mon doctorat, je parviens à concevoir les grandes lignes de ma recherche mais elle n’est encore qu’une ébauche. Dans le monde hiérarchique académique, il est compliqué pour un doctorant d’évaluer quand il devient légitime en tant que chercheur. Pour cette raison, je souhaite avec ce billet à la fois décrire ce qu’implique la participation à un colloque pour un jeune chercheur et, en même temps, faire relativiser les peurs éventuelles des doctorants liées au risque (supposé) que représente une prise de parole.

Tout commence en août 2018, lorsque ma directrice, Valérie Gelézeau, m’informe qu’elle est en train de constituer un panel de géographes pour candidater à l’AKSE. Dans ce cadre, elle me propose que nous présentions ensemble une analyse de Songdo, ville sur laquelle portent mes recherches. En effet, mon sujet de thèse est sur la « construction et la modélisation urbaine dans le paradigme du numérique : le cas de la ville intelligente de Songdo (Corée du Sud) ». Or, il s’avère que ma directrice a effectué deux terrains d’étude à Songdo avant le commencement de mon doctorat. Elle a donc un regard à la fois concret et antérieur au mien, ce qui rend cette collaboration particulièrement pertinente. La proposition de panel a alors été déposée, puis acceptée sous l’intitulé “Space, place, power and scales: geographical perspectives on the ROK”. La joie ressentie à l’annonce de ma participation à la 29ème édition de la conférence de l’AKSE à Rome, a rapidement laissé place à une confrontation avec la réalité : je devais écrire une présentation argumentée sur Songdo ! Il s’agit ici clairement d’un descriptif de toute l’anxiété qui accompagne une jeune doctorante qui s’interroge sur ce qu’elle peut bien avoir de pertinent à exposer. Pourtant, cette obligation soudaine d’écrire sur mon sujet m’a permis de recentrer mes données et d’y voir plus clair sur les matériaux que j’avais emmagasinés après un an de recherche et un premier mois de terrain. Faire cette présentation est alors devenu une expérience centrale de mon parcours doctoral car, pour une raison précise et pour une audience extérieure à mon confortable laboratoire de recherche, j’ai dû rassembler mes données et les rendre accessibles à un large auditoire. Ainsi, le papier pour la conférence s’est construit conjointement avec ma directrice, et nos deux regards sur ce terrain ont donné une analyse critique et cohérente intitulée “Songdo: Moving scales of an urban mega-project: digitalized power and the fabric of a new residential space”.

Le 11 avril 2019, j’ai donc pris l’avion pour aller participer à quatre jours de conférences à Rome. Pour l’anecdote, arrivée à l’aéroport je me suis trompée de train pour rejoindre le centre de Rome et je me suis retrouvée dans une autre ville en périphérie. Une ville avec des buildings tous identiques qui m’a donné l’impression d’être à Songdo. En effet, Songdo ressemble à une ville nouvelle composée de constructions similaires et c’est exactement dans ce genre d’espace où je me suis involontairement perdue. À croire que l’on est toujours attiré par son terrain ou alors c’est le terrain qui nous poursuit… Preuve en est, je cherche depuis le début de mon doctorat à voir une maquette de Songdo fabriquée par les architectes et designers new-yorkais Farzin Lofti-Jam et Mark Wasiuta (Control Syntax Songdo), qui n’avait été exposée à ma connaissance qu’en 2017 à Séoul (j’ai fait mon terrain en 2018), puis en 2018 à Rio. Or, j’ai appris que cette maquette de Songdo était exposée au musée MAXXI de Rome alors même que je m’y trouvais pour l’AKSE. J’ai donc pu examiner avec ravissement cette maquette et à enrichir mes données de terrain avec le regard critique de ces deux artistes. Le terrain nous suit même lorsqu’on ne le cherche pas.

Finalement, j’ai évidemment retrouvé mon chemin vers l’AKSE et j’ai alors découvert que participer à un colloque signifie être séquestrée volontairement dans un hôtel avec mes pairs en études coréennes pendant quatre jours : l’intégralité du temps est passé dans l’espace des conférences. Puis, entre les conférences, il y a les pauses qui n’en sont pas vraiment car il s’agit de moments où il est attendu de notre part que nous distribuions des cartes de visite et que nous fassions du « networking ». C’est une atmosphère étrange, une sorte de foisonnement intellectuel qui épuise et fascine. Quand, au bout du 4ème jour, je débats en anglais (qui n’est pas ma langue maternelle) du paradoxe des joint-ventures dans l’économie coréenne avec une chercheuse allemande, je suis à la fois épuisée et totalement enthousiaste de faire partie de cet espace privilégié. L’AKSE est donc un événement singulier où participer pleinement implique de naviguer entre les salles de conférence et de réception. Un environnement dans lequel j’ai eu la chance d’évoluer et, en plus, en compagnie de Marion Delarche, doctorante au Centre de Recherche Corée. Elle a été pour moi une acolyte pleine d’enthousiaste qui m’a encouragé tout au long de l’AKSE et dont le récit montre une autre facette de cette conférence.

Pour conclure sur cette expérience, être doctorant implique, en plus de tâtonner sur sa recherche, de relever des défis, de prendre la parole et d’accepter de se confronter au regard critique de chercheurs expérimentés. La conférence devient alors une pièce de théâtre où le doctorant met en scène sa persona scientifique1 face à un auditoire qui incarne à ses yeux cette même persona. Or, grâce à cet avatar pris sur l’estrade et son texte appris par cœur, le doctorant, maître de son sujet, peut, pour un bref instant, expérimenter l’échange de manière critique avec ses des pairs, et non des experts plus aguerris et intimidants. L’ASKE offre finalement cette opportunité, que je recommande à tout doctorant, de présenter ses recherches et de tenter d’incarner, le temps d’une prise de parole, sa persona scientifique en études coréennes.

Suzanne Peyrard
Doctorante CRC – EHESS

 

  1. Fanny Oudin, « Identité et persona. Quelques réflexions liminaires autour de l’image de soi au Moyen Âge », Questes [En ligne], 24 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/questes/3090
Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS