Chloé Paberz, « Créer en marge : ethnographie d’un espace artistique à Yeoju, Corée du Sud »

Chloé Paberz, « Créer en marge : ethnographie d’un espace artistique à Yeoju, Corée du Sud »

De janvier 2017 à janvier 2018, j’ai bénéficié d’une bourse de post-doctorat du RESCOR pour travailler sur l’art contemporain sud-coréen à partir d’une enquête ethnographique1. L’essor de l’art contemporain coréen ces dernières années a donné lieu à une multiplication des expositions et des publications à ce sujet, non seulement en Corée mais aussi en Asie et sur les autres continents. J’ai choisi d’étudier l’art non pas à partir des œuvres mais à partir des relations sociales que construit l’activité de création.

Au printemps 2017, je rencontre une directrice artistique surnommée Joa. Elle vient d’inviter un compositeur et des musiciens coréens pour un concert au Centre Culturel Coréen. Très active, elle prépare alors une exposition dans sa propre galerie située dans la province du Gyeonggi, à l’est de Séoul. Elle m’y invite. Je décide donc de me rendre en Corée de juin à août.

Terrain

Détail d’une œuvre née d’une collaboration entre Narae et Joa (©C. Paberz)

Cette galerie se situe dans un hameau au milieu des bois, des rizières et des champs de melons coréens, à Yeoju, une ville réputée pour ses céramiques et pour la tombe du Roi Sejong, inscrite au patrimoine de l’UNESCO depuis 2009. Depuis une dizaine d’années, quelques artistes ont élu domicile dans ce hameau. Joa a acheté ici deux maisons : elle loue l’une à un jeune peintre, et a transformé l’autre en « espace » (konggan) mixte où elle organise des expositions et où elle vit six mois par an (elle passe les six autres mois à Paris). Elle partage cette maison avec Narae, une collègue et amie de longue date. Fille de couturière et couturière elle-même, Narae gagne sa vie grâce à la vente de ses créations textiles, dont certaines sont exposées ici.

En 2017, Joa fait construire une terrasse en bois pour y monter une « exposition sur ciel » : les œuvres, fixées sur de hauts poteaux, entourent la terrasse. Pour les contempler, le spectateur doit s’allonger. Elles ont été réalisées par des artistes professionnels de notoriété variable ; certains font partie de l’Association Sonamou, qui rassemble de nombreux artistes coréens installés en France.

Grâce à l’hospitalité de Joa et de Narae, j’ai partagé le quotidien de cette maisonnée pendant quelques semaines, rencontré un réseau d’artistes qui fréquentent ce lieu et recueilli leurs récits des rencontres, des conflits, des romances et des ruptures qui façonnent ce réseau. Certains m’ont ouvert leurs ateliers et emmenée découvrir d’autres lieux où ils travaillent (par exemple les galeries).

Atelier de Bae, l’un des peintres de l’exposition sur ciel (© C. Paberz)

A Séoul, j’ai pu m’entretenir avec divers acteurs de l’art contemporain, dont deux jeunes artistes coréennes formées en France et leurs maîtres artisans, un photographe en résidence, le directeur d’un institut de préparation aux écoles d’art européennes, une employée du Musée National d’Art Moderne et Contemporain (MMCA) et la responsable d’une célèbre galerie du quartier Gangnam à Séoul.

Perspectives

A partir de ces matériaux riches, j’ai choisi d’écrire un article fondé sur la description de l’ « espace » de Joa et des relations labiles, foisonnantes et contrastées qui s’y forment. Dans ce lieu haut en couleurs se croisent en effet des artistes désargentés, une délégation de la Fondation Cartier, des pêcheurs japonais, des employés municipaux, des enfants prodiges, des calligraphes exubérants et des paysans flûtistes. Tous doivent y suivre les mêmes règles, qui rompent délibérément avec les usages ordinaires.

J’envisage de poursuivre mes recherches en accompagnant le projet d’installation itinérante en Europe, dont l’exposition sur ciel constituait l’ébauche. Ce grand projet représente pour son instigatrice à la fois une occasion de faire connaître les «  bons » artistes coréens, d’adoucir la vie des citadins grâce à un dispositif d’exposition original, et de faire connaître une histoire « vraie » de la Corée qui prouverait l’inventivité de son peuple. Ces ambitions ouvrent des pistes intéressantes quant aux rôles attribués à l’art contemporain dans la société coréenne.

Je remercie le RESCOR qui m’a permis de poursuivre mes recherches et de les présenter cette année dans trois communications et quatre articles en préparation. Je remercie également mes interlocuteurs sur le terrain et mes collègues du Centre de Recherches sur la Corée pour leurs suggestions avisées.

 
Chloé Paberz

Post-doctorante du RESCOR en 2017

 

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  1. Jeune docteur soutenu du Centre de recherches sur la Corée, ​EHESS, Paris. Actuellement, post​-​doctorante de la Fondation japonaise pour la promotion de la science​ (JSPS)​, Ritsumeikan University, Kyōto.
Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS