Atelier du RESCOR – 13 et 14 septembre 2018. Synthèse de la table ronde « Enseignement de la culture coréenne vs promotion de la culture coréenne : au-delà du Hallyu »

Atelier du RESCOR – 13 et 14 septembre 2018. Synthèse de la table ronde « Enseignement de la culture coréenne vs promotion de la culture coréenne : au-delà du Hallyu »

Cette table ronde au titre volontairement provocateur a été animée par Kim Hui-yeon, maîtresse de conférence à l’Inalco. Elle a réuni Mme Jeong Yeojin, enseignante de langue coréenne à l’ISM (Institut Supérieur du Management) de Saint-Louis du Sénégal, Mme Raina Beneva, maîtresse-assistante à l’université de Sofia Saint Clément d’Ohrid, Mme Choi-Chabal Eun-sook, maîtresse d’étude à l’université du Havre, M. Bernard Sénécal professeur à l’Université de Sogang et M. Alain Delissen, directeur d’étude à l’EHESS et directeur de l’Institut d’études coréennes du Collège de France.

Ils sont intervenus dans cet ordre à l’invitation de Mme Kim Hui-yeon et ont présenté les situations locales et/ou leur positionnement par rapport au phénomène de Hallyu. Leurs interventions ont suscité des remarques et questions intéressantes restées toutefois peu nombreuses faute de temps.

©Le Réseau des Études sur la Corée

Mme Jeong Yeojin, qui par ailleurs a été maîtresse de langues à l’université Paris Diderot, nous a fait part de son expérience récente à l’ISM. Elle a présenté dans un premier temps la ville de Saint-Louis de Sénégal, ville située à la frontière avec la Mauritanie qui accueille une population venue d’horizons et de cultures différentes. Dans cette ville de St Louis se trouve un des quatorze campus de l’Institut Supérieur de Management, école privée de gestion prestigieuse qui est le seul établissement d’enseignement supérieur sénégalais à intégrer des cours de coréen dans un cursus de Licence et Master.

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Alors que l’ISM a bénéficié sur son campus de Dakar de l’aide de plusieurs institutions sud-coréennes telles que la Korea Foundation ou la KOICA, les cours de coréen de l’ISM Saint Louis ont été mis en place sans aides extérieures.

Parmi les 400 élèves de Licence et Master en gestion de l’ISM Saint Louis, une soixantaine a la chance de suivre des cours de langue et de culture coréennes depuis janvier 2018, à raison de 30 heures par semestre. Ces cours sont obligatoires.

Mme Jeong a souligné une différence importante avec le cas parisien : à l’ISM, la très grande majorité des étudiants n’avait aucun intérêt pour la Corée avant de débuter ce cours, voire même montrait une certaine ignorance de la Corée.

Mme Jeong a vu l’intérêt pour la Corée et la motivation à étudier la langue et la culture coréennes s’accroître considérablement suite à la mise en place de ce programme d’enseignement.

Dans son enseignement de la culture coréenne, Mme Jeong privilégie une approche qu’elle qualifie d’« interculturelle », c’est-à-dire qu’elle met l’accent sur l’exposition à des cultures différentes dans une École où sont réunis des étudiants issus de treize pays africains. Elle aborde plusieurs thématiques culturelles sous différents angles en favorisant la réflexion et la discussion des étudiants sur leurs propres cultures. Les productions culturelles sous toutes leurs formes sont convoquées dans son enseignement.

Dans un pays où la présence de la culture coréenne était quasi inexistante, ces cours à l’Institut Supérieur de management ont fait naître non seulement de l’intérêt pour la Corée, mais ont aussi suscité des projets et des orientations professionnelles grâce à l’attraction économique du pays.

Mme Raina Beneva a présenté le cas bulgare (Université de Sofia) où l’intérêt pour la Corée de la part des étudiants remonte à une vingtaine d’années. Auparavant seuls les « recalés » des départements de chinois et du japonais se retrouvaient à apprendre le coréen.  Aujourd’hui le coréen attire plus que les deux autres langues. La principale raison est le goût pour la culture populaire sud-coréenne.

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Pour elle, la place importante de la culture populaire dans les motivations à apprendre le coréen « pose problème ». Il y a un décalage entre la Corée telle qu’elle est perçue par les enseignants et la culture pensée et rêvée par les étudiants. Elle déplore également l’interventionnisme du gouvernement sud-coréen, la vision tronquée d’une culture coréenne « sudo centrée ».

Elle a constaté une multiplication du nombre d’étudiants en Licence mais des résultats qui n’étaient pas forcément meilleurs. Mais surtout elle rend compte de la perte importante d’étudiants au moment du passage en Master. Elle explique que les attentes des étudiants ne correspondent pas vraiment aux cursus en place pourtant très riche et varié. Elle conclut en parlant d’un défi à les convaincre qu’il y a autre chose que la Vague Coréenne.

Mme Chabal a, quant à elle, une approche tout à fait différente. Elle explique même sa perplexité devant la formulation du sujet qu’elle propose de changer de la façon suivante : « l’enseignement de la culture coréenne, y compris de la Hallyu ». Forte de son expérience de près de trente ans en tant que maîtresse de conférences, elle a expliqué l’évolution de son positionnement d’enseignante de sa culture d’origine. Au désir du début de simplement transmettre ce qu’elle avait elle-même appris et expérimenté en tant que « Coréenne », ont succédé des questionnements et des remises en question qui viennent désormais enrichir son enseignement et sa recherche. En particulier elle envisage la Hallyu comme un phénomène de la société coréenne actuelle qui n’est pas à négliger. Elle précise ensuite son positionnement et a résumé les grands thèmes qu’elle enseigne suivant le niveau. Elle n’hésite aucunement à utiliser des contenus culturels issus de la Vague coréenne dans ses cours de langue et invite ses étudiants à étudier l’industrie culturelle sud-coréenne au niveau Master.

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Bernard Sénécal enseigne le bouddhisme à des Coréens à l’université de Sogang et nous a fait part de son interrogation à se trouver là pour parler de l’enseignement de la culture coréenne. En fin connaisseur mais aussi amoureux de la Corée, il nous a néanmoins brossé un portrait bicéphale de la Corée que nombre de personnes ont eu l’air d’accepter.

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Par rapport à l’afflux important d’étudiants dans nos départements et la sélection qui se met en place, il conseille d’interroger plus leur motivation et de les aider à mieux appréhender la réalité des études qu’ils envisagent, ainsi que de celle de la Corée elle-même.

À la question de la place de la religion dans la société et son enseignement à l’université, il évoque la diminution du nombre de croyants en Corée et forme le souhait que l’éducation religieuse en Corée soit plus basée sur des notions de respect mutuel et sur la capacité à dialoguer avec ceux qui sont différents.

Alain Delissen, invité à présenter une mise en perspective historique du phénomène, a tout d’abord livré quelques réflexions sur son vécu et celui de beaucoup d’entre nous par rapport à l’apparition de la Vague coréenne. Ce fut en effet une «bénédiction » d’un côté, pour une discipline, voire tout simplement pour une aire culturelle qui peinait à se faire connaître, ou tout simplement à attirer des étudiants, mais ce fut aussi vécu comme un « embarras », une sorte de « calamité » pour beaucoup d’entre nous devant cet agrégat de contenus culturels estampillés Korea porté par un discours identitaire.

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Pour lui, la Hallyu est un dispositif de relation publique que l’on peut mettre en perspective historique. Il serait intéressant par exemple de s’intéresser aux cycles politiques sous-jacents (par exemple quelles sont les productions privilégiées par les agences gouvernementales telle que la KOCCA sous tel ou tel gouvernement) mais aussi à certaines productions de la période coloniale et postcoloniale qui s’inscrivent dans l’écriture d’un répertoire identitaire et parmi celles-ci,  il a cité le numéro « charang » (fierté) de la revue Kaebyôk (1920) ainsi que le Chosŏnûi sangsik de Ch’oe Namsôn (1937 réécrit en 1945).

Enfin, pour revenir à la Vague coréenne et sa prise en compte dans nos enseignements, il invite les enseignants à ne pas déconstruire trop rapidement ce phénomène qui n’est pas encore suffisamment appréhendé par un appareil critique et à ne pas non plus adopter un dispositif qu’il qualifie de « journalistique », c’est-à-dire une posture qui se résume à présenter un phénomène puis à dévoiler ensuite l’« envers du décor ».

Après ces cinq interventions, Evelyne Chérel-Riquier maîtresse de conférences à l’Université de la Rochelle, suite à l’intervention de Raina Beneva, est revenue sur le cas de la Rochelle, où le taux de réussite en LEA anglais-coréen est un des plus forts mais où la « déperdition » en Master est elle aussi très forte (comme dans les établissements parisiens également).

Enfin, Marion Delarche, doctorante à l’EHESS, nous a incité à mettre davantage en parallèle la légitimité des motivations des étudiants à s’inscrire en études coréennes avec celle des motivations des étudiants en études japonaises. Elle a rappelé que ces dernières également étaient souvent dues à l’attrait de la culture populaire japonaise et a expliqué qu’il ne lui semblait pas que l’on remette autant en question ces motivations.

Stéphane THEVENET
Membre du Réseau des Études sur la Corée
Maître de conférences à l’INALCO
Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS