Compte-rendu de la conférence du 12 février 2016
– Kugyŏl 口訣, un autre système d’écriture coréen
Le vendredi 12 février s’est tenue la conférence de l’équipe ASIEs « Kugyŏl 口訣, un autre système d’écriture coréen » présentée par Madame LEE Jeon Kyung 이전경, professeur du département des Sciences Humaines de l’université Yonsei (연세대 인문학연구원 HK연구). Madame LEE Jeon Kyung est une spécialiste de l’étude des caractères d’écriture. Elle a récemment publié un ouvrage sur les caractères d’écriture en Corée, Han’guk-ŭi munja-tŭl (한국의 문자들, Les caractères d’écriture de la Corée), avec le professeur KIM Hasu (김하수) du département de Langues & Lettres de l’université Yonsei.
Dans sa présentation, Mme LEE Jeon Kyung nous a présenté le kugyŏl, système d’écriture utilisé pour la transcription de la langue coréenne, en le mettant en perspective avec les autres systèmes d’écriture coréens qui ont pu cohabiter avec celui-ci jusqu’à la colonisation japonaise.
Mme LEE Jeon Kyung nous a d’abord résumé l’histoire de l’apparition des différents systèmes d’écritures dans la péninsule coréenne en particulier le hyangch’al (鄕札), le idu (吏讀) et le kugyŏl (口訣). Elle a expliqué que des systèmes d’écriture, qui reprennent ou s’inspirent des sinogrammes, ont été créés concomitamment par les différents pays de l’aire sinisée. Ces pays ont eu besoin d’un système de notation pour annoter ou traduire, au moins partiellement, les sûtras bouddhiques chinois, besoin qui s’est accru pour la lecture des Classiques confucéens. Ainsi on trouve beaucoup de similitudes entre les systèmes d’écritures japonais et coréens comme le hyangch’al et le man’yōgana (万葉仮名) ou le kugyŏl et les kana (仮名). Elle a expliqué ensuite que c’est à partir du XVe siècle que les systèmes d’écritures coréens ont commencé à être clairement distingués les uns des autres avec l’apparition de termes spécifiques pour les désigner.
A la différence du idu et du hyangch’al qui utilisent les caractères chinois pour leur valeurs sémantiques ou phonétiques, le kugyŏl est à rapprocher des kana japonais en ce qu’il utilise des caractères chinois et leurs simplifications comme un syllabaire. Néanmoins, à la différence des kana, le kugy car le coréen est une langue à consonne finale (받침, patch’im). De plus, tandis que le hyangch’al nous est principalement parvenu comme outil de notation des chants coréens hyangga (鄕歌) et le idu comme système d’écriture plutôt utilisé par le milieu politique et administratif, le kugyŏl semble avoir principalement servi comme moyen d’annotation pour apprentissage de la lecture des Classiques confucéens et du chinois classique. Cependant, le professeur LEE Jeon Kyung a précisé que cela n’empêche pas de trouver des formes similaires dans les trois systèmes d’écritures. Par exemple, l’utilisation du sinogramme 乙, prononcé « ŭl » à la coréenne, qui était utilisé pour indiquer le complément d’objet. Il a dû être utilisé par les trois systèmes pour son homophonie avec les particules ŭl et rŭl de la langue coréenne qui indiquent aussi le complément d’objet d’une proposition).
La date de l’apparition du kugyŏl est encore incertaine, cependant Mme Lee Jeon Kyung estime qu’il serait apparu au VIIe siècle, si ce n’est avant, puisque les matériaux retrouvés les plus anciens sont des gravures sur planchettes de bois, mok’kan (木簡) et les premières mentions trouvées seraient dans les Mémoires historiques des Trois royaumes (三國史記, samguk sagi) et les Histoires oubliées des Trois Royaumes (三國遺事, samguk yusa). Le kugyŏl était alors écrit en mélangeant la langue coréenne et le chinois classique. À partir du XVe siècle, le kugyŏl semble avoir surtout été utilisé comme signe d’annotation des textes en chinois classique, servant par exemple à indiquer le complément d’objet ou le sujet d’une proposition. Elle a expliqué qu’il existe plusieurs types de kugyŏl qui peuvent prendre différentes places dans un texte avec un contenu et des sens variés. La lecture et la compréhension du kugyŏl dépend du texte, autrement dit de son caractère bouddhique ou confucéen, de celui qui l’a annoté, de l’ordre des caractères, du contenu noté en kugyŏl puisqu’il pouvait être utilisé pour différents buts (pour noter la prononciation, la traduction, comme clefs de lecture ou comme mots fonctionnels coréens).
Mme LEE Jeon Kyung a conclu en rappelant que le kugyŏl est une écriture qui peut attester des formes anciennes de la langue coréenne. Il témoigne d’un caractère spécifique individuel ou régional. Du point de vue de l’histoire de l’écriture coréenne, il montre des caractéristiques très variées qui ont dû avoir une influence dans le processus de création du han’gŭl.
Lors de la discussion qui a suivi, une première question a été posée sur l’utilisation politique du han’gŭl et du kugyŏl, puis une autre sur une éventuelle présence du kugyŏl dans les textes de fictions.
Kevin JASMIN
Étudiant en deuxième année de Master d’Études Coréennes à l’Université Paris Diderot
Pour le Réseau des Études sur la Corée